Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/233

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né en 1744, et mort le 15 avril 1826. Il des­cendait de l’ancienne dynastie écossaise de Bruce, et joua un assez grand rôle dans la presse, comme organe de la politique de lord Melville. En échange de ses services, lord Melville l’écrasa littéralement d’honneurs et de riches sinécures. Comme philosophe, il ne s’écarte pas de l’esprit général de l’école écossaise ; mais il n’y a rien dans ses écrits qui le distingue personnellement. Il n’y a que deux de ses ouvrages qui méritent d’être cités ici : les Premiers principes de Phi­losophie, in-8, Édimb., 1870, et les Eléments de Morale, in-8, 1786.

BRUCKER (Jean-Jacques), né à Augsbourg en 1696, fit ses études à Iéna. Il exerça les fonctions de pasteur, et se distingua dans la pré­dication. Ses études se tournèrent de bonne heure vers l’histoire de la philosophie, et il pu­blia divers écrits qui seryirent de préparation à son grand ouvrage intitulé : Historia critica philosophice a mundi incunubilis ad nostram usque œtatem deducta. Un abrégé qui parut en 1747 et qui eut plusieurs éditions du vivant même de l’auteur, a servi de base à l’ensei­gnement dans les universités allemandes jusqu’à la publication du Manuel de Tennemann. Bruc­ker est mort à Augsbourg, en 1770.

L’histoire de la philosophie est une science moderne, et Brucker en est le premier repré­sentant sérieux. Aristote n’est pas un historien de la philosophie, parce qu’ordinairement, avant d’exposer ses propres doctrines, il passe en revue et apprécie celles de ses devanciers ; Diogène Laërce n’est qu’un biographe et un compilateur. On doit en dire autant de tous ceux qui nous ont laissé des documents sur la vie et les écrits des philosophes de l’antiquité. Au milieu du xvne siècle, Stanley publia, il est vrai, une his­toire de la philosophie {the History of philosophy, 4 parties en 1 vol. in-f°, Londres, 165960) ; mais elle comprend seulement les écoles et les sectes de la philosophie ancienne ; elle repose d’ailleurs sur cette idée fausse, que la philosophie est exclusivement païenne et que ses destinées sont achevées à l’apparition du christianisme. D’autres travaux de Hornius, Grævius, Heinsius et autres sont également incomplets et insufsants. Si on veut indiquer les vrais fondateurs de l’histoire de la philosophie, c’est à Bayle et à Leibniz que ce titre doit être décerné. Le pre­mier a mis au monde la critique, et le second a tracé le plan de la nouvelle science ; Brucker a eu l’honneur de lui élever son premier mo­nument.

On ne doit pas s’attendre à trouver dans un ouvrage qui représente une science à son début les qualités qu’on serait en droit d’exiger à une époque plus avancée. Quand on songe d’ailleurs à toutes les conditions, si difficiles à remplir, auxquelles doit satisfaire l’historien de la philo­sophie, il faut savoir gré à celui qui est entré le premier dans la carrière d’en avoir réuni quelques-unes à un degré éminent. Certes, ce n’était pas une intelligence commune que celui dont le livre, après les travaux accumules depuis deux siècles et tant de recherches récentes, est encore aujourd’hui consulté même par les savants, et dont la lecture est obligée pour quiconque se livre à l’étude sérieuse des systèmes philoso­phiques. Brucker possédait une érudition im­mense. Il avait exploré le vaste champ des opi­nions et des systèmes. Il avait fait une étude consciencieuse de tous les monuments qui figu­rent dans cette histoire qui commence avec le monde et finit au xvme siècle. Chose rare ! il a su tout embrasser sans être superficiel. On voit qu’il a compulsé les écrits des philosophes dont il retrace la doctrine, ou il n’en parle que d’après les autorités les plus respectables. Il discute l’au­thenticité de leurs ouvrages. Sa critique est saine et judicieuse ; de plus, les écoles et les systèmes ne sont pas entassés sans ordre et dis­tribués au hasard dans son livre : il les range selon la méthode chronologique, et il établit entre eux une certaine filiation. La biographie des philosophes est traitée avec le plus grand soin. Il n’omet aucune circonstance qui peut jeter quelque lumière sur le développement de leurs idées. Quant à l’exposition des systèmes, il ne se contente pas de quelques maigres aperçus ou d’un résumé général : chaque système est analysé dans toutes ses parties avec une étendue proportionnée à son importance. Ses points fon­damentaux sont présentés dans une série d’ar­ticles classés avec ordre et symétrie. Dans l’ap­préciation et la critique, Brucker se montre pénétré de l’esprit d’indépendance qui caractérise la philosophie moderne et le xvne siècle ; cet esprit se trahit dans le titre même du livre : His­toria critica. Disciple de Bacon et de Descartes, Brucker ne s’en laisse imposer par aucune au­torité ; il est, pour lui emprunter ses propres expressions, aussi éloigné d’un excessif respect pour l’antiquité, que d’un amour peu raisonné de la nouveauté. On reconnaît dans ses jugements un sens droit et solide qui ne manque pas de sagacité et de pénétration. A ces qualités de l’esprit, joignez celles qui tiennent au caractère et qui ne sont pas moins essentielles à l’historien de la philosophie qu’au philosophe : l’amour de la vérité, la sincérité, la candeur, la modestie, la réserve dans les jugements, qualités que per­sonne n’a possédées à un degré plus éminent que Brucker, et qui le font aimer et vénérer comme un sage des temps anciens. Sans doute il a ses préjugés ; il est de son siècle, il appartient à une école, celle de Leibniz et de Wolf, et il est théologien ; mais toutes ces dispositions sont dominées par l’amour du vrai, le désir d’être juste avant tout, et une certaine bienveillance universelle qui l’élève comme malgré lui jusqu’à l’impartialité. On ne doit pas craindre de dé­passer la vérité en disant que chez lui on re­marque un vif respect pour l’esprit humain et ses productions ; ce qui lui fait consacrer de longues et patientes recherches à des ouvrages et des hommes qu’il ne pouvait ni comprendre ni même beaucoup estimer. Cette impartialité qui n’étonne pas dans Leibniz, doit nous faire d’autant plus admirer celui qui n’était pas doué du même génie compréhensif et conciliateur. Brucker est souvent plus impartial que bien des historiens qui professent la tolérance pour tous les systèmes et qui les mutilent pour les faire entrer dans des classifications et des théories a priori.

Tels sont les mérites que l’on doit reconnaître dans le père de l’histoire de la philosophie ; son ouvrage doit être classé parmi les plus grands travaux de l’érudition et de la science ; si nous en signalons les défauts, c’est moins qu’il soit nécessaire de porter un jugement absolu, que de montrer les progrès que devait faire l’histoire de la philosophie pour sortir de son berceau et s’avancer vers son but idéal.

1° Brucker n’a pas une idée bien nette de l’objet de la philosophie ; il résulte de là, qu’il est incapable de tracer les véritables limites de son histoire, d’en marquer le point de départ, de distinguer ses monuments de ceux qui appar­tiennent à d’autres histoires spéciales. Il s’enfonce dans les origines ; il fait la philosophie contem­poraine des premiers jours de la création ; son histoire commence au berceau du genre humain (a