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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/260

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sortent (Theonoston, seu de Animi immorta­litate, lib. II, § 31).

On se demande, après cela, quelle place il reste à Dieu, et comment il se distingue de cette force universelle, également infinie, principe spirituel de tous les êtres, moteur et organisateur de l’univers. Cardan ne répond nulle part à cette question. Il adresse bien à Dieu des hymnes ; il reconnaît en lui l’être infini, et parle de son immensité ; mais ses autres attributs, et surtout ses rapports avec l’âme du monde, son rôle dans la création, il se garde de les définir. On ne peut pas dire qu’il admette, à l’exemple de Platon, au-dessus de l’âme du monde, une intelligence suprême, ayant sa propre substance, et exerçant sur tous les autres principes un pouvoir absolu. Cardan dit expressément que le principe de l’intelligence, de la sensibilité et de la vie, est un seul et même être ; que l’âme n’est pas seulement le principe universel, qu’elle est la substance première et véritable de toutes choses. Planum est idem esse quod sentit, intelligit, vivit… Anima est ergo quæ non solum prin­cipium est omnium, sed etiam primum et verum subjectum. (Theonoston, lib. IV, t. Ier, p. 439 de l’édit. de Lyon.)

Cependant nous devons dire que Cardan, de son propre aveu, n’a pas toujours été du même avis sur la nature de l’intelligence et ses rapports avec les différents êtres. Dans le traité de Uno, un des premiers qu’il ait publiés sur des matières philosophiques, il se déclare pour la doctrine d’Averroès et n’admet pour tous les êtres qu’une seule intelligence, un seul entendement pénétrant dans tous les corps organisés, capable de lui donner accès ; demeurant, au contraire, plus ou moins éloigné de ceux qui ne remplissent pas cette condition, illuminant le corps de l’homme, parce qu’il est d’une composition plus subtile, et rayonnant extérieurement autour de la brute, parce qu’elle est formée d’une matière plus gros­sière. Plus tard, dans le livre de Consolatione (liv. II, t. Ier, p. 598 de l’édition de Lyon), il enseigne précisément le contraire. Il nie formelle­ment qu’il puisse exister une intelligence unique, soit pour les êtres vivants en général, soit seule­ment pour les hommes : il soutient, au contraire, que l’intelligence est toute personnelle, qu’elle ne vient pas du dehors comme un rayon émané d’un foyer étranger ; mais qu’elle a son siège en nous-mêmes, qu’elle fait partie de nous ; et nous est entièrement propre comme la sensibilité. Car ; dit-il, nous savons par expérience que la faculté de comprendre ne s’exerce pas en nous d’une autre manière que la faculté de sentir. Cela n’empêche pas l’esprit de l’homme d’être d’une origine céleste ; mais il se divise en un nombre infini de parcelles dont chacune devient le centre d’une existence à part. De là résulte évidemment que les âmes elles-mêmes doivent être considérées comme autant de substances distinctes et parfai­tement indépendantes les unes des autres, ce que Cardan n’hésite pas à reconnaître, non-seulement pour la vie présente, mais pour celle qui nous attend au delà du tombeau. Voici, au reste, ses propres paroles (ubi supra) : « Ainsi les âmes humaines demeurent distinctes les unes des autres, même après la mort, avec toutes les facultés qui leur sont propres, comme la volonté, l’intelligence, la sagesse, la science, la réflexion, la raison, la connaissance des arts et toutes autres qualités semblables. » Enfin, dans un troisième écrit, intitulé Theonoston, ou de l’immortalité de l’âme, Cardan s’écarte à la fois des deux opinions précédentes, en s’efforçant, en quelque sorte, de les concilier entre elles. Il n’admet, comme la première fois, qu’une seule âme et une seule intelligence ; mais cette intelligence lui apparaît sous un double point de vue : elle peut être considérée en elle-même, comme absolue et dans l’éternité ; alors elle ne connaît que l’universel, c’est-à-dire sa propre essence, et ses opérations ne peuvent pas se distinguer les unes des autres. Mais elle se montre aussi dans le temps : elle se manifeste par certains organes, au nombre des­quels il faut compter l’homme, et dans ce cas ses opérations sont multiples, chacune d’elles devant occuper un point différent de la durée ; elle nous semble douée de facultés diverses plus ou moins développées, selon la perfection de l’organe ou de l’instrument (Theonoston, lib. IV, t. Ier, p. 439). Pour excuser ces variations dans ses doctrines, Cardan fait remarquer que telle est la condition de l’esprit humain, que les vérités les plus utiles et les plus importantes ne peuvent pas être trouvées en un jour.

Nous venons de voir que Cardan regarde l’homme comme un organe de l’intelligence et, par conséquent, de l’âme universelle. Cela ne l’empêche pas de le considérer isolément comme un être à part, et nous nous hâtons d’ajouter que l’on trouve dans cette partie de sa philosophie des observations profondes, délicates, mais mê­lées, comme toujours, de paradoxes et d’erreurs. Ce qui constitue à ses yeux le caractère distinctif de l’être humain, c’est (il l’appelle par son nom) la conscience. Les animaux, doués seulement d’une âme sensitive, ne connaissent pas, si par­faits qu’ils soient, d’autre règle que celle d’un aveugle instinct ; en un mot, ils ne savent pas ce qu’ils sont ; tandis que l’homme se connaît lui-même et a conscience de la connaissance qu’il a des autres êtres. Ipse autem se ipsum agnoscit ac reliqua se agnoscere intelligit (de Natura, c. i). La conscience le conduit à la distinction de l’âme et du corps, qu’il démontre aussi bien qu’on pourrait le faire aujourd’hui par l’unité, l’identité de l’être pensant et le fait du libre arbitre. Il n’y a qu’un être intelligent, ayant con­science de lui-même, c’est-à-dire un être identique, qui puisse trouver en soi la règle de ses actions (Theonoston, lib. II, § 19, et lib. III). Enfin, après avoir établi que l’âme est distincte du corps, Cardan entreprend d’en démontrer l’immortalité. C’est ici surtout qu’il fait preuve d’une solide et profonde érudition. Il rapporte avec beaucoup d’exactitude, avec beaucoup d’ordre et de préci­sion, tous les arguments allégués par les philo­sophes pour ou contre le dogme de la vie future (Theonoston, lib. V). Quant à lui, sur des preuves qui n’offrent pas un grand caractère d’originalité, il admet ce dogme ; mais, en même temps, il le déclare tout à fait inutile, et même dangereux dans la pratique. Le sceptique, le matérialiste avoué, est obligé, selon lui, de se montrer d’au­tant plus irréprochable dans sa conduite, qu’il attire tous les regards et qu’il éveille tous les soupçons. D’ailleurs n’avons-nous pas, pour rem­placer la crainte d’une autre vie, les mouvements naturels de la conscience, la crainte de la justice des hommes, le sentiment de l’honneur, le res­pect de nous-mêmes et de nos amis, enfin la force de l’habitude et de l’éducation ? En revanche, le mal dont Cardan accuse le dogme de l’immor­talité lui paraît incontestable ; car s’il n’existait pas dans l’esprit des hommes, on n’aurait pas à déplorer les guerres de religion, les plus cruelles entre toutes les guerres, et le plus grand des fléaux (de Immortalitate animarum, c. xi).

Il est évident que l’immortalité, pour Cardan, ne saurait être autre chose que la continuité, que l’éternité du principe unique de toute vie et de toute intelligence. Il nous apprend lui-même, dans le de Vita propria (c. xliv), le dernier ou­vrage