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sorti de sa plume, qu’il croyait à l’égalité non-seulement de tous les hommes, mais de tous les êtres vivants. Mais il distingue dans ce prin­cipe plusieurs fonctions ou plusieurs attributs, qui suffisent à l’explication de tous les phénomè­nes de la vie humaine et de l’univers en général : 1o  l’intelligence proprement dite ; 2o  l’imagina­tion ; 3o  les opérations des sens ; 4o  les fonctions vitales ; 5o  le mouvement. L’intelligence est le privilège exclusif de l’homme. L’imagination et les sens appartiennent à la fois à l’homme et aux animaux ; le principe vital est dans tous les êtres organisés, dans les plantes comme dans les ani­maux. Enfin le mouvement existe indistinctement dans tous les corps (Theonoston, lib. IV, t. Ier, p. 439).

Cardan s’est occupé aussi de la dialectique ; et quoique l’ouvrage qu’il a publié sur ce sujet (t. Ier, p. 229 de l’édition de Lyon) ne soit pas autre chose, au fond, qu’un résumé de la Logique d’A­ristote, on y trouve cependant des détails intéressants et des réflexions judicieuses sur la méthode à observer dans les différentes sciences.

Nous n’en dirons pas autant de l’écrit qui a pour titre de Socratis studio, véritable pamphlet composé de toutes les calomnies répandues contre Socrate par Aristophane et Athénée. Croirait-on que les plus grands griefs reprochés par Cardan au philosophe athénien soient précisément son désintéressement, sa prédilection pour la morale, son aversion pour les disputes stériles de l’épo­que, enfin sa mansuétude et sa patience au sein de sa propre famille ? Il prétend que cette der­nière vertu est un encouragement funeste pour les femmes qui manquent de soumission envers leurs maris. Il ne traite pas mieux les disciples de Socrate. Platon est un vil flatteur des tyrans, Xénophon un soldat ignorant, cupide et traître à sa patrie ; Aristippe n’a fait que développer en pratique et en théorie les véritables conséquences de l’enseignement de son maître.

Il serait beaucoup trop long d’énumérer ici tous les écrits de Cardan, dont la plupart sont étrangers à l’objet de ce Recueil. Nous nous con­tenterons de citer le Theonoston, le livre de Con­solatione, les traités de Natura, de Immortali­tate animarum, de Uno, de Summo bono, de Sapientia, et le livre de Vita propria, comme la source où nous avons puisé les éléments de la doctrine philosophique de Cardan. Sa théorie de la nature se trouve exposée principalement dans les deux ouvrages de Subtilitate et de Rerum va­rietate. Les œuvres complètes de Cardan ont été réunies par Charles Spon en 10 vol. in-fo, Lyon, 1663, et Cardan lui-même, sous le titre de Libris propriis, nous en a laissé une notice étendue, imprimée dans le premier volume de l’édition que nous venons de citer, et que nous avons sous les yeux en rédigeant la présente analyse.

CARDINALES (vertus cardinales). On appelle ainsi les aspects les plus généraux et les plus importants de la moralité humaine, essentielle­ment une de sa nature ; les vertus qui contien­nent en elles et sur lesquelles s’appuient toutes les autres. Elles sont au nombre de quatre : la force, la prudence, la tempérance et la justice. Tout le monde comprendra sans peine ce qu’il faut entendre par la tempérance et par la justice, laquelle n’est vraiment efficace que par la bonté (justitia cum liberalilate conjuncta). Mais com­ment la force et la prudence sont-elles comptées au nombre des vertus ? C’est que par la force il faut entendre ici avec Cicéron (de Offic., lib. I, c. XX) cette grandeur d’âme, cette énergie morale qui consiste à se mettre au-dessus de tous les avantages et de toutes les misères de ce monde, et à ne reculer devant aucun sacrifice pour faire le bien. La prudence doit être entendue dans le sens de son étymologie antique ; elle est la con­naissance de la vérité dans son caractère le plus élevé, et suppose que l’intelligence y a été pré­parée par la méditation et par la science.

Cette division de la vertu est très-ancienne, aussi ancienne, on peut le dire, que la morale ; car on la trouve déjà dans l’enseignement de So­crate, tel qu’il nous a été conservé par Xénophon, mais avec une légère différence : c’est que le respect de la Divinité (εὐσέβεια) y tient la place de la prudence ou de la science, qui, réunie à la vertu, doit constituer la sagesse. Platon a con­servé la même doctrine en lui donnant seulement un caractère plus systématique et en le ratta­chant intimement à ce qu’on peut appeler sa psychologie. En effet, après avoir distingué dans l’âme trois éléments, le principe de la pensée, le principe de l’action et celui de la sensibilité, ou ce qu’on appelle vulgairement l’esprit, le cœur et les sens, il admet pour chacun de ces éléments une vertu particulière, destinée à le développer ou à le contenir : pour les sens, la modération ou la tempérance ; pour le cœur, la force et le cou­rage · pour l’esprit, la science dans ce qu’elle a de plus élevé, c’est-à-dire la science du bien. Enfin, du mélange et de l’accord de ces trois premières vertus, il en naît une quatrième qui est la justice. Mais la justice, pour Platon, n’est pas simplement cette qualité négative qui con­siste à respecter les droits d’autrui et à rendre à chacun ce qui lui est dû ; elle est l’ordre même dans la plus noble acception du mot ; elle est le développement harmonieux de toutes les facultés de l’individu et de toutes les forces de la société ; elle est la vie humaine dans sa perfection (Platon, Republ., liv. IV). Après Platon, l’école stoïcienne a donné à ce même point de vue une consécra­tion nouvelle, mais en le détachant du système psychologique et métaphysique sur lequel il s’ap­puyait d’abord, pour en faire un principe indé­pendant, appartenant exclusivement à la morale. Des stoïciens il a été transmis à Cicéron, qui le développe avec beaucoup d’élégance dans son traité des Devoirs, d’où il a passe dans la plupart des traités de la morale chrétienne, avec les ter­mes mêmes de la langue latine, termes qui ont aujourd’hui perdu leur signification primitive. Mais le christianisme, trouvant incomplète cette base de la morale, et forcé de la trouver telle par la nature de ses dogmes, y a ajouté ce qu’il appelle les vertus théologales. Les philosophes modernes, au lieu de s’occuper de la division des vertus, travail assez stérile en lui-même, ont mieux aimé rechercher d’abord quel est le prin­cipe suprême de la moralité humaine, la loi ab­solue de nos actions, ensuite quels sont les de­voirs particuliers qui en découlent, quelle est notre tâche dans chacune des positions de la vie.

Il existe sur le sujet qui vient de nous occu­per deux traités spéciaux : l’un de Clodius, qui a pour titre : de Virtutibus quas cardinales ap­pellant (in-4, Leipzig, 1815) ; l’autre, beaucoup plus ancien, est l’ouvrage de Gémiste Pléthon, de Quatuor Virtutitus cardinalibus, publié en grec avec une traduction latine par Ad. Occone (in-8, Bâle, 1552).

CARNÉADE de Cyrène, né vers la troisième année de la cxlie olympiade, est l’esprit le plus ingénieux et le plus brillant qui ait honoré la dé­cadence de l’école académique. Moins original, moins profond, moins sérieux même qu’Arcésilas, qui est le véritable père de la philosophie de la vraisemblance, Carnéade a été surtout un rhéteur plein de ressources et d’esprit, un dialecticien d’une subtilité et d’une souplesse merveilleuses, un adversaire habile et acharné de l’école stoï­cienne.