où l’état de la république et du barreau ne lui permettaient pas un autre emploi de ses brillantes facultés. Ce futainsi que, pendant les temps difficiles de la domination de Sylla, il suivit tour à tour, à Rome, à Athènes ou à Rhodes, les leçons des représentants les plus fameux des écoles philosophiques de la Grèce, notamment celle de Philon et d’Antiochus, sectateurs de la nouvelle Académie, et celles du stoïcien Posidonius. Plus tard, après son consulat, et lorsque les intrigues de ses ennemis parvinrent à diminuer l’influence que ses services lui avaient justement acquise, il chercha dans la philosophie un remède à ses chagrins, un aliment à l’activité de son esprit. 11 y revint encore, après la défaite de Pharsale, durant le long silence que lui imposa la victoire de César sur les libertés publiques. Quand le meurtre du dictateur lui eut rendu quelque influence dans les affaires de son pays, fidèle aux études qui l’avaient consolé dans sa disgrâce, il fit marcher de front, autant qu’il dépendit de lui, ses travaux philosophiques avec ses devoirs de sénateur. Mais la proscription ordonnée par les triumvirs, et dont il fut la plus illustre victime, termina bientôt avec sa vie le cours de ses nobles travaux (43 av. J. C.).
Quelques essais de traduction, particulièrement du Protagoras et du Timie de Platon, paraissent avoir été les seuls résultats des études philosophiques de sa jeunesse ; et, parmi les ouvrages plus sérieux auxquels il se livra dans la suite, on ne rapporte à l’intervalle compris entre son consulat et la dictature de César, que les deux traités de la République et des Lois, composés sur le modèle de ceux de Platon. L’Hortensius, ou exhortation à la philosophie ; les Académiques, dans lesquelles la question de la certitude est discutée entre les partisans de la nouvelle académie et leurs adversaires ; le de Finibus bonorum et malorum, qui est consacré à la discussion des théories sur le souverain bien ; les Tusculanes, recueil de plusieurs dissertations de psychologie et de morale sur l’existence et l’immortalité de l’âme, sur la nature des passions et le moyen d’y remédier, sur l’alliance du bonheur et de la vertu ; le de Natura Deorum, le de Divinatione et le de Fato, où se trouvent débattus l’existence et la providence des dieux, les signes vrais ou faux par lesquels ils découvrent aux hommes les choses cachées, et la conciliation du destin et de la liberté humaine ; le de Officiis, ou traité des Devoirs ; en un mot, ses plus importants ouvrages, sous le rapport philosophique, ont tous été rédigés durant la dernière période de sa vie, à laquelle appartiennent aussi le de Senectute, le de Amicitia et le livre de la Consolation.
Les écrits qui viennent d’être mentionnés sont tous parvenus jusqu’à nous, excepté Y Hortensius, pour lequel nous sommes réduits à un petit nombre de fragments conservés par saint Augustin, et le traité de la Consolation, dont il reste seulement quelques lignes. Mais parmi les autres ouvrages ; plusieurs sont aujourd’hui incomplets ou présentent des lacunes considérables, comme les Académiques, le de Fato, le de Legibus, et surtout le de Republica, monument remarquable, que les curieuses découvertes de M. Angelo Maï n’ont pu reconstruire en entier.
La forme sous laquelle Cicéron présente les discussions qui remplissent ses écrits est celle d’un entretien entre plusieurs Romains distingués. 11 ne déroge complètement à cet usage et ne parle en son propre nom que dans le de Officiis, le plus dogmatique de ses traités ; partout ailleurs, il nous met en présence de plusieurs personnages, qui prennent successivement la parole pour exposer une partie plus ou moins considérable d’un système important, ou pour soumettre à une critique régulière la doctrine développée par un précédent interlocuteur. Le dialogue de Cicéron, généralement peu coupé, n’a pas la piquante ironie de celui de Platon, où Socrate fait tomber ses faibles adversaires en de continuelles contradictions. L’orateur romain semble s’être proposé de reproduire dans la forme de ses ouvrages les débats graves et mesurés de la tribune politique ou du barreau, plutôt que les allures vives et soudaines d’une conversation spirituelle et savante.
Quant au fond des traités, il est presque complètement emprunté aux écoles grecques des siècles antérieurs, et la part d’invention qui revient à Cicéron se borne à l’éclaircissement de quelques questions secondaires de morale. Quelles sont au moins, entre les opinions qu’il expose, celles qui obtiennent sa préférence ? C’est ce qu’on ne parvient pas toujours à déterminer facilement. Cette difficulté s’explique par le caractère de Cicéron, par l’histoire de sa vie, enfin par l’esprit de la secte à laquelle il fait profession d’appartenir. Doué dès sa jeunesse de plus de vivacité dans l’imagination que de fermeté dans le jugement, Cicéron développa dans les exercices qui forment l’orateur ces qualités et ces défauts naturels, que les événements contemporains, bien plus propres à ébranler l’esprit qu’à le rassurer, vinrent encore fortifier. Ce fut sous l’influence de ces dispositions et de ces circonstances, qu’il s’attacha à la nouvelle Académie. La prétention avouée du chef de cette école était le scepticisme ; mais Carnéade, dont Cicéron se rapprochait plus que d’Arcésilas, y avait joint un probabilisme appliqué surtout aux opinions qui sont du ressort de la morale. Enfin, Philon et Antiochus, les maîtres de sa jeunesse, quoiqu’ils maintinssent en apparence le scepticisme de leurs devanciers, l’avaient remplacé en effet par une tentative de conciliation entre les opinions contradictoires. Le premier, pour réhabiliter Platon, confondait les deux Académies en une seule ; et le second, allant plus loin encore, s’efforçait de démontrer l’accord du péripatétisme et même du stoïcisme avec la doctrine académique.
Cicéron adopta tout à la fois l’esprit sceptique des fondateurs de la nouvelle Académie et le syncrétisme de ses derniers représentants. Les professions de scepticisme se rencontrent souvent sous sa plume et viennent tout à coup attrister le lecteur au milieu même des traités où le ton et les convictions de l’auteur paraissent le plus fermes. C’est l’effet que produit la préface du deuxième livre du de Officiis, et plus encore le dernier chapitre de l’Orateur, beau traité de rhétorique où la philosophie occupe une assez large place. Hâtons-nous de le dire : après ces déclarations, qui assurent sa tranquillité et protègent, quelles qu’elles puissent être, ses opinions et ses paroles, Cicéron se prête volontiers à reconnaître pour vraisemblables les sentiments des différents philosophes qui ont montré le plus d’élévation dans leurs doctrines. En les modifiant et les combinant à sa manière, il s’en forme une doctrine personnelle, qu’avec un peu d’étude on parvient à démêler et à suivre dans ses nombreux écrits. Pour en indiquer seulement ici les points principaux, constatons que Cicéron croit avec Socrate à l’existence des dieux et à leur providence, manifestée surtout par l’ordre de l’univers ; qu’à l’exemple des mêmes maîtres, il admet une lomorale, qui n’est autre chose que la raison éternelle et la volonté immuable de Dieu ; que, sans compromettre la suprématie de l’honnête à l’égard de l’utile, il proclame leur alliance nécessaire ;