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traire. On a déjà bien fait voir que cette définition est trop étendue : en effet, il y a des rapports très-réels et très-permanents des choses, auxquels il est indifférent de conformer ou non sa conduite ; il y en a auxquels il serait coupable de l'accommoder. Il faut donc faire un choix de ces relations, et lesquelles choisir? apparemment les relations morales. C'est-à-dire que les relations morales sont et resteront toujours des relations d'un ordre spécial, sui generis, irréductibles à toute autre. On les désigne par leurs caractères ; on les compte; la conscience les reconnaît entre toutes à l'obligation qu'elles entraînent; maison ne peut les définir. Donc la définition de Clarke, prise en son entier, est trop vaste et devient fausse dans l'application: réduite à ses justes limites, elle n'est plus qu'un cercle, une frivole tautologie; elle revient, en effet, à ceci : le bien moral est la conformité de notre conduite avec les relations morales, qui sont immuables ; c'est bien là définir idem per idem.

Les deux principaux écrits philosophiques de S. Clarke sont la Démonstration de Vexistence et des attributs de Dieu, pour servir de réponse à Hobbes y à Spinoza et à leurs sectateurs ; et le Discours sur les devoirs immuables de la religion naturelle. Il faut y joindre un choix de ses lettres, et surtout une lettre très-longue sur l'immortalité de i'âme. Les deux premiers écrits ont été fort bien traduits en français par Ricottier, 2 vol. in-18, Ainst., 1744. Il en existe une édition précédée d'une introduction par M. A. Jacques, Paris, 1843, in-12, sous ce titre : Œuvres philosophiques de S. Clarke. Voy. un mémoire de M. Damiron sur Clarke dans le tome XIV du compte rendu des séances de l'Académie des sciences morales et politiques. Am. J.

CLASSIFICATION. Division par genres et par espèces.

Parmi les divisions que l'esprit peut établir dans les objets de ses pensées, il n'en est pas de plus importantes que celles qui ont reçu le nom de classification, et qui consistent à disposer les choses par genres et par espèces.

Telle est l'inépuisable fécondité de la nature, que l'homme aurait promptement succombé à la tâche d'en étudier les innombrables productions, s'il n'avait su les coordonner. Mais, doué comme il l'est de la faculté de comparer et d'abstraire, il ne tarde point à s'apercevoir que, partout, à côté des différences, il y a entre les êtres de profondes analogies, dont l'induction le porte à admettre la généralité et la constance. Il se trouve ainsi amené à embrasser, sous une appellation commune, les choses entre lesquelles il découvre des rapports : les individus semblables sont réunis pour former une espèce ; les espèces, un genre ; les genres, une famille ou un ordre ; les familles, une classe. Ce travail achevé, voici quels résultats il produit : 1° parmi l'infinie variété des objets, l'esprit peut distinguer, sans confusion et sans peine, ceux qu'il a intérêt de connaître; 2" dès qu'il sait le rang qu'une chose occupe, il en sait les caractères généraux indiqués par le seul nom de l'espèce à laquelle cette classe appartient ; 3° la transmission des vérités scientifiques se trouve ramenée à ses règles fondamentales, qu'il est aussi aisé de comprendre que d'exposer. La clarté pénètre donc avec l'ordre dans nos connaissances : le jugement et la mémoire sont merveilleusement soulagés, et la science est mise à la portée d'un plus grand nombre d'esprits.

Mais ces avantages ne sont pas les seuls que présentent les classifications. S'il est vrai, comme on n'en saurait douter, que ce monde est l'œuvre d'une cause intelligente, il a été créé avec poids, nombre et mesure ; il y règne un ordre caché qui en lie toutes les parties, et la variété des détails n'y détruit pas l'uniformité du plan. Or ce plan ne peut consister que dans les lois qui gouvernent les phénomènes, ou dans les relations générales qui unissent les êtres particuliers. Au-dessus des classes qui dépendent des conceptions de l'homme et qui changent avec elles, la nature renferme donc un système permanent de genres et d'espèces, où chaque être a sa place invariablement fixée. Lorsque le savant détermine un de ces genres établis par la sagesse divine, il aperçoit une face de l'ordre universel. Peut-être sa découverte résume-t-elle utilement pour la mémoire un certain nombre d'idées éparses; mais ce n'en est que le côté le moins important. Elle vaut bien plus qu'une simple méthode propre à aider le travail de l'esprit ; car elle nous associe aux vues de la Providence, et, si elle comprenait tous les genres et toutes les espèces, le plan de la création se déroulerait à nos regards.

Les classifications peuvent donc être envisagées sous deux points de vue : soit comme un procédé commode, mais arbitraire et artificiel, qui nous permet de coordonner, d'éclaircir et de communiquer aux autres nos connaissances; soit comme l'expression des rapports essentiels et invariables des choses. La condition générale qu'elles doivent remplir, dans les deux cas, est de tout comprendre et de ne rien supposer. Serait-ce classer avec méthode les phénomènes psychologiques que de les partager en faits sensibles et en faits volontaires, et d'omettre les faits intellectuels, ou bien, à l'intelligence, à la volonté et à la sensibilité, de joindre telle ou telle de ces puissances supérieures et mystérieuses, que les écrivains mystiques attribuent si facilement à l'âme humaine? Le premier précepte de la méthode expérimentale est de se montrer fidèle aux indications de la nature, c'est-à-dire de repousser les hypothèses que son témoignage ne confirme pas, et d'accueillir toutes les vérités qu'elle découvre : hors de là, il ne reste à l'esprit d'autre alternative que l'erreur ou l'ignorance.

Mais les classifications naturelles sont soumises à d'autres règles plus sévères, que les classifications artificielles ne comportent pas. Chaque point de vue ou propriété des objets peut servir à les classer, quand on ne cherche que les avantages de l'ordre. Je puis, par exemple, classer les végétaux d'après la grosseur de la tige, la dimension des feuilles, la couleur et la forme de la corolle, le nombre des étamines, leur insertion autour du pistil, etc. ; les pierres, d'après leur composition chimique, leur contexture moléculaire, leur densité ; les animaux, d'après la conformation des organes de nutrition, de reproduction, de locomotion, de sentiment, etc. ; et ce qui prouve qu'en effet tous ces caractères offrent les éléments d'une division commode, c'est qu'ils ont tour à tour été employés dans plusieurs systèmes de botanique, de minéralogie et de zoologie. Mais les classifications dites naturelles ne nous laissent pas le choix entre plusieurs points de vue ; il n'y en a alors qu'un seul qui soit légitime, parce qu'il n'y en a qu'un seul qui soit vrai, et, pour le découvrir, il faut préalablement évaluer, avec le concours de l'expérience et du raisonnement, l'importance relative des diverses parties des objets. Tel est le principe de la subordination des caractères, que M. de Jussieu a le premier dégagé, et qui, généralisé par M. Cuvier, a renouvelé la face des sciences naturelles. Ce principe s'étend à toutes les branches des connaissances humaines où il se trouve des êtres à décrire et à classer, et il y sépare les méthodes