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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/36

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losophes de la Renaissance est intitulé : de Inventione dialectica libri tres. Érasme, qui en admirait les idées et le style, en a fait, dans ses Adages, un éloge presque enthousiaste ; mais par une inadvertance que justifie le contenu de ce traité, il lui donne le titre de : de Inventione rhetorica. Agricola, en effet, ayant pris tout d’abord Cicéron et Quintilien pour guides dans l’étude de la dialectique, fut conduit à la consi­dérer comme instrument de l’art oratoire plutôt que de la science et de la philosophie. De là cette définition : Dialecticam esse artem probabiliter de una quavis re disserendi. De là aussi la di­vision de cet art en deux parties, l’invention et le jugement ou disposition. L’invention dont il veut parler est celle des preuves, qui se fait au moyen de lieux communs, entendus aussi à la manière des rhéteurs grecs et latins plutôt que d’Aristote. Comment Brucker a-t-il pu affirmer que le traité d’Agricola est conçu dans l’esprit et suivant les vrais principes d’Aristote (juxta ge­nuina Aristotelis principia) ? Assurément rien ne rappelle ici les Analytiques, à peine y a-t-il une analogie avec les Topiques. Loin de suivre l’auteur de l’Organon, Agricola s’en sépare assez nettement, tout en témoignant pour lui du res­pect et même de l’admiration ; mais en vérité, il ne le comprend guère, quoiqu’il ait sous les yeux le texte original, et l’on doit reconnaître qu’il n’était point de force à le corriger et à le perfectionner. Aussi ne trouve-t-on guère d’i­dées neuves dans cet ouvrage, dont le mérite le plus saillant consiste dans le style. La théorie des lieux est vague et confuse ; sous prétexte de dialectique, l’auteur traite dans le second livre des moyens de donner au discours du mouve­ment et du charme ; et dans le troisième, il se livre à des considérations dont on chercherait en vain le rapport avec l’invention, dans le sens restreint ou il prenait ce mot. Ce qui donne au de Inventione dialectica une physionomie parti­culière, ce qui en fait l’originalité et l’impor­tance historique, c’est d’une part l’esprit d’indé­pendance qui s’y déploie, surtout à l’égard de la scolastique, et d’autre part le style qui, malgré la diffusion que le savant Huet a critiquée à bon droit, est très-remarquable dans un écrivain al­lemand du xve siècle, par la clarté, l’élégance et une grande valeur d’images, d’exemples, de com­paraisons ingénieuses.

En résume, Agricola était humaniste plus que philosophe, et c’est par ses qualités d’homme et d’écrivain, plus que par les mérites sérieux de sa dialectique, qu’il contribua à préparer une ère nouvelle, celle de la Renaissance. Il eut l’hon­neur d’enseigner le grec à Heidelberg avant Reuchlin, d’écrire et de parler un bon latin, avant Erasme, de tenter une réforme de l’enseigne­ment philosophique avant Mélanchthon. Il fut donc, pour ainsi dire, le premier initiateur de l’Allemagne, puisque le premier il y introduisit le goût et la connaissance de l’antiquité classi­que. Son œuvre fut continuée parmi ses com­patriotes par de nombreux disciples, parmi les­quels il suffira de citer Rodolphe Langius, Anto­nius Liber et Alexandre Hégius, qui fut le maître d’Érasme. Sa réputation était grande en Italie, témoin l’éloge que fit de lui Paul Jove, et cette épitaphe composée par le célèbre humaniste Her­molaus Barbarus (Ermolao Barbaro) de Venise : Invida clauserunt hoc marmore futu Rodolphum

Agricolam, Frisii spemque decusque soli. Scilicet hoc vivo meruit Germania laudis. Quicquid habet Latium, Græcia quicquid habet.

Le traité de Inventione dialectica, publié à Cologne en 1523 par J. M. Phrissemius, fut bien­tôt connu et employé dans plusieurs collèges de l’Université de Paris, où il obtint un si grand succès grâce aux leçons de Latomus, de J. Sturin et de Jean le Voyer (Visorius), qu’en 1530 la fa­culté de théologie accusait hautement la faculté des arts d’abandonner Aristote pour Agricola. Ainsi ce dernier eut le privilège de préluder en France, aussi bien qu’en Allemagne, aux essais plus hardie et plus efficaces de Mélanchthon et de Ramus.

Les ouvrages d’Agricola ne furent recueillis qu’assez longtemps après sa mort, par un de ses compatriotes, Alard d’Amsterdam, en deux volumes in-4 (Cologne. 1539) ; dont le premier est une réimpression aes trois livres de Inven­tione dialectica ; le second, sous le titre de Lu­cubrationes, contient un commentaire du Pro lege Manilia de Cicéron, des notes sur Sénèque le rhéteur, la traduction latine de divers mor­ceaux de Platon, de Démosthène, d’Isocrate et de Lucien, quelques poésies latines, plusieurs dis­cours et des lettres fort intéressantes à Antonius Liber, à Langius, à Reuchlin ; à Hégius, à J. Barbirianus, et à un frère utérin d’Agricola, qui s’appelait Jean. Il manque à cette édition, pour être complète : 1° les Commentaria in Boe­thium, publiés par Murmelius à Deventer (sans date) ; 2° des poésies allemandes qui probable­ment ne furent jamais imprimées ; 3° un livre d’histoire, de Quatuor monarchiis, qu’Agricola avait composé sur la demande et sans doute pour l’usage exclusif de l’électeur Palatin. Outre les écrits de Rodolphe Agricola, on peut consul­ter sur la vie et les travaux de ce personnage, les ouvrages suivants : Oratio de vita Rod. Agricolœ, recitata Witebergæ a Ioanne Saxone Holsatico, à la suite de la Vie de Nie. Frischlin publiée à Strasbourg en 1605, in-8 ; — Melchior Adam, Vitœ german. philosophorum, 1615, in-8 (p. 13 et suiv.) ; — J. P. Tressling, Vita et merita Rod. Agricolœ, Groningæ, 1830, in-8 ; — A. Bossert, de Rod. Agricola Frisio, Paris, 1865. in-8 (64 p.). Ce dernier travail contient des inexactitudes et plusieurs assertions qui au­raient besoin d’être accompagnées de preuves.

Ch. W.


AGRIPPA mérite une place très-honorable dans l’histoire du scepticisme de l’antiquité. Nous ne connaissons de lui que ses Cinq motifs de doute (Πεντε τρόποι τής εποχής) ; mais cette tentative pour simplifier et coordonner les in­nombrables arguments de son école suffit pour témoigner de l’étendue et de la pénétration de son esprit. Suivant cet ingénieux sceptique, le dogmatisme ne peut échapper à cinq difficultés insolubles : 1° la contradiction, τρόπος άπό οιαφωνίας ; 2° le progrès à l’infini, τρόπος εις άπειρον έκβαλλων ; 3° la relativité, τρόπος άπό τού πρός τι ; 4° l’hypothèse, τρόπος υποθετικός ; 5° le cer­cle vicieux, τρόπος διάλληλος. Voici le sens de ces motifs, que les historiens n’ont pas assez re­marqués. Il n’y a pas un seul principe qui n’ait été nié. Par conséquent, aussitôt qu’un philoso­phe dogmatique posera un principe quelconque, on pourra lui objecter que ce principe n’est pas consenti de tous. Et tant qu’il se bornera à l’af­firmer, on lui opposera une affirmation contraire, de façon qu’il n’aura pas résolu l’objection de la contradiction. Pour se tirer d’affaire, il ne man­quera pas d’invoquer un principe plus général ; mais la même objection reviendra incontinent et le forcera de faire appel à un principe encore plus élevé. Or, c’est en vain qu’il remontera ainsi de principe en principe, l’objection le sui­vra toujours, toujours insoluble, dans progrès à l’infini. Poussé à bout, le dogmatiste déclarera qu’il vient enfin d’atteindre un principe premier, un principe évident de soi-même. Mais qu’est-ce