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dans la pensée, peut être exprimé sous la forme d’une proposition négative ; ainsi, quand je nie que l’âme soit matérielle, j’affirme réellement son immatérialité, c’est-à dire son existence mê­me. Voy. Jugement et Proposition.

A FORTIORI (à plus forte raison). On se sert de ces mots dans les matières de pure contro­verse, quand on conclut du plus fort au plus fai­ble, ou du plus au moins.

AGRICOLA (Rodolphe), surnommé Frisius à cause de son pays natal, était de Baffloo, village situé dans la Frise, à peu de distance de Groningue. Son véritable nom était Rolef Huesmann, et non de Cruningen, comme le prétend l’abbé Joly, abusé par une mauvaise prononciation de Groningen. On ne connaît la date de sa naissance que par celle de sa mort, arrivée le 28 octobre 1486. Il avait alors à peine 42 ans : c’est donc en 1444 qu’il faut placer sa naissance, et non en 1442, comme font la plupart des historiens de la phi­losophie. L’autorité décisive sur ce point n’est pas Melchior Adam, mais l’historien de la Frise ; Ubbo Emmius, ainsi que l’a fort bien établi Bayle (art. Agricola (Rod.). note A.)

Agricola, si l’on en croit un historien de la ville de Deventer, aurait fait ses premières études au collège de Sainte-Agnès, près de Zvoll, sous le fameux Thomas à Kempis. Ainsi s’expliquerait sa rare habileté dans l’art de copier et d’illustrer les manuscrits. À ce talent il joignit de bonne heure ceux de musicien et de poëte. De Zvoll, Agricola se rendit à Louvain, ou il se distingua bientôt par ses dispositions philosophiques et par son talent à écrire en latin. Il faisait de Cicéron et de Quintilien une étude assidue, et c’est d’eux qu’il apprit, non-seulement à écrire, mais encore à penser autrement que les scolastiques. Il sou­mettait à ses maîtres et développait très-habile­ment des objections contre l’ordre suivi dans l’enseignement traditionnel de la logique. Il eut tant de succès à Louvain, qu’il aurait pu y rester comme professeur ; mais ses goûts et sa vocation l’attiraient ailleurs ; ayant appris le français avec quelques-uns de ses condisciples, il partit pour Paris, afin d’y perfectionner ses études. Il y de­meura plusieurs années, étudiant et enseignant tour à tour jusqu’à l’âge de trente-deux ans, et l’on doit s’étonner que ses biographes allemands aient glissé si légèrement sur ce séjour prolongé dans l’université de Paris. Il serait intéressant de savoir quelle fut l’attitude du jeune maître ès arts de Louvain, lorsqu’il se trouva en présence des logiciens les plus illustres de cette époque et dans la compagnie de son docte et subtil com­patriote, Jean Wessel, qu’on avait surnommé magister contradictionis. On peut affirmer à coup sûr que ses leçons n’étaient pas l’écho de cette scolastique pour laquelle il avait tout d’a­bord éprouvé tant de répugnance, et peut-être ne furent-elles pas sans influence sur la génération nouvelle. Quoi qu’il en soit, Agricola, qui était d’humeur voyageuse et fort amoureux des lettres anciennes, se sentait attiré vers l’Italie où elles étaient enseignées avec éclat par les Grecs venus de Constantinople, et où l’avaient précédé plu­sieurs de ses anciens compagnons d’études. Étant arrivé à Ferrare en 1476, il y fut retenu par la libéralité du duc Hercule d’Este, et surtout par les leçons et les entretiens du philosophe et gram­mairien Théodore de Gaza, de l’humaniste Guarini et des deux poètes Strozzi. Avec le premier il étudia Aristote et la langue grecque ; avec le second il cultiva les lettres latines, avec tous il rivalisa de savoir et de talent. Après avoir suivi les leçons de Théodore de Gaza, il se fit entendre à son tour, et l’on admira son éloquence et sa diction aussi pure qu’élégante. Il séjourna deux ans à Ferrare, et c’est probablement à cette épo­que, c’est-à-dire à l’année 1477, que remonte la première ébauche de son principal ouvrage : car, en dédiant quelques années plus tard son de In­ventione dialectica à Théodoric (ou Dietrich) de Plenningen, qu’il avait connu intimement à Fer­rare, il lui rappelle que c’est à sa prière et sur ses conseils qu’il a entrepris ce travail, et il ajoute qu’il le fit un peu vite, au milieu des pré­paratifs de son départ et pendant le voyage, alors assez long de Ferrare à Groningue. On peut lire là-dessus le témoignage très-intéressant de son premier commentateur, Phrissemius, au début de ses Scholia in libros tres de Invent. dial. (Co­logne et Paris, 1523 et 1539, in-4, Scholia in Epistolam déclic). C’est donc à tort que Meiners reporte aux années 1484 et 1485 la composition de ce traité.

De retour dans sa patrie, Agricola refusa les honneurs et les charges qu’on lui offrit comme à l’envi, à Groningue, à Nimègue, à Anvers. Il consentit seulement à suivre quelque temps, en qualité de syndic de la ville de Groningue, la cour de Maximilien Ier, auprès de qui il était pa­tronné par d’anciens condisciples ou élèves ; mais au bout de six mois, ayant réussi dans sa négo­ciation, il quitta la cour, malgré les efforts des chanceliers de Bourgogne et de Brabant pour l’attacher au service de l’Empereur. Il tenait à son indépendance, et répugnait à toute fonction qui l’aurait oblige à une vie sédentaire. Il aimait à changer de place, et, suivant l’expression de Bayle, menait une vie fort ambulatoire. Cepen­dant un noble personnage, nommé Jean de Dalberg, à qui il avait appris le grec, ayant été fait évêque de Worms, trouva moyen de l’attirer et de le retenir, un peu malgré lui d’abord, tantôt à Worms, tantôt à Heidelberg, où l’électeur Pa­latin le combla de ses faveurs. Dans cette der­nière ville d’ailleurs il retrouvait son ami le che­valier Dietrich de Plenningen, qu’il surnommait son cher Pline (Plinium suum), et dont la mai­son fut la sienne. Puis il gardait la faculté de se déplacer, en allant d’une ville à l’autre ; il ac­compagna même l’évêque de Worms à Rome, en 1484, lors de l’intronisation du pape Innocent XIII que Jean de Dalberg allait complimenter au nom du comte palatin.

Agricola fit quelques leçons à Worms, mais il y trouva des habitudes scolastiques tellement en­racinées, qu’il désespéra d’en triompher. Il finit par adopter de préférence le séjour de Heidel­berg où il passa la plus grande partie de ses der­nières années, de 1482 à 1486. Il y enseigna avec un grand succès, traduisant et commentant les écrits d’Aristote, notamment ceux d’histoire na­turelle, alors inconnus en Allemagne. Son com­mentaire était surtout philosophique, comme on en peut juger par le développement qu’il pré­senta un jour à des auditeurs enthousiastes de cette pensée extraite du de Generatione anima­lium (liv. II, ch. m) : Τόν νοϋν μόνον θύραθεν επεισιεναι καί 6ε’ον είναι μόνον, ce qu’il traduisait ainsi : « Mens extrinsecus accedit, et est divinum quid, nec nascitur ex materia corporum. »

Agricola se livra aussi à l’étude de la théolo­gie et de la langue hébraïque. Il y apporta la même liberté d’esprit qu’en philosophie, et peut-être se serait-il appliqué tout entier aux ques­tions religieuses, si une mort prématurée ne l’eût arrêté subitement au milieu de ses travaux, le 28 octobre 1486. Son ami, le savant Reuchlin, qui vivait à Heidelberg depuis quelque temps, pro­nonça son oraison funèbre.

Agricola avait écrit, en prose, en vers, en la­tin, et même en allemand. L’ouvrage par lequel il a conquis une place distinguée parmi les phi-