DEFI — 349 — DEFI pris dans ceux qui le précèdent, et comprend à son tour ceux qui le suivent. L’individu est dans l’espèce, l’espèce dans le genre, le genre infé- rieur dans un genre plus élevé, tous les indivi- dus, toutes les espèces et tous les genres dans la catégorie suprême de l’être. Les attributs passent ainsi de classe en classe, en s’augmentant de l’une à l’autre, et il suit de là qu’on peut réunir sous une appellation générique tous ceux que l’objet à définir emprunte à la classe immédia- tement supérieure. La vie organique et le sentiment appartien- nent au genre des êtres animés, dont l’homme fait partie ; à renonciation successive de ces deux propriétés, je puis donc substituer le nom du genre qui les résume, et dire : l’homme est un animal, en ajoutant qu’il est doué de raison, pour achever de déterminer sa nature. Les attributs généraux de l’humanité sont les seuls éléments qui entrent dans cette définition ; mais on peut aussi définir les choses, et on les définit même d’une manière plus instructive et plus profonde, en indiquant quelle en est l’ori- gine ou quel en est le but. Les géomètres avaient le droit de définir la sphère un solide dont la surface a tous ses points à une égale distance d’un point intérieur appelé centre ; ils ont pré- féré dire qu’elle est un solide engendré par la révolution d’un demi-cercle autour de son dia- mètre. Quand j’énonce que la quadrature est la formation d’un carré éauivalent à une figure, je suis moins complet que si j’ajoute par une moyenne proportionnelle. Serait-ce définir une montre que d’en exposer le mécanisme et d’en taire l’us;ige? Mais, quels que soient l’objet et le mode de la définition, on doit remarquer qu’il faut tou- jours aboutir à un genre qui la comprend et à une différence qui la caractérise. Dans les deux définitions de la sphère, elle est rangée dans la catégorie des solides, et déterminée par l’addi- tion d’une idée particulière. Les usages d’une montre servent de même à la reconnaître entre toutes les autres machines avec laquelle on la classe. Voilà le fondement du principe posé par Aris- tote, et avoué par la plupart des logiciens, que toute définition se fait par le genre et la diffé- rence, ou autrement, consiste à placer un objet dans une classe déterminée, et à indiquer les caractères qui le distinguent de tous les objets de la même classe. Et, comme chaque genre a plus ou moins de compréhension, il n’est pas indifférent de choisir un genre ou un autre. Il faut s’arrêter à celui qui renferme immédiatement le sujet. Ce n’est pas la même chose de dire : l’homme est un être, ou l’homme est un animal doué de raison ; car, dans le premier cas, je n’indique pas qu’il est autre chose qu’une pure intelligence, et je montre dans le second qu’il est un corps uni à un esprit. Les logiciens ajoutent que la définition doit convenir à tout le défini et au seul défini, toli definito et soli definito ; en moins de mots, être propre et universel, ce qui découle également de tout ce qui précède. Ils veulent enfin qu’elle soit réciproque, par où ils entendent que le sujet et l’attribut doi- vent pouvoir être pris indifféremment l’un pour l’autre. Ce dernier caractère est ce qui distingue la définition des propositions pures et simples dont les formes ne sont pas convertibles. L’or est jaune ; voilà une proposition : car l’idée de couleur n’est pas adéquate à l’idée d’or, puisqu’il y a d’autres choses que l’or qui sont jaunes, et que l’or, de son côté, n’a pas cette unique pro- priété. Une étoile est un astre qui brille de sa propre lumière ; voilà une définition, parce que le sujet et l’attribut sont deux idées égales, ou, pour mieux dire, une seule idée exprimée de deux manières différentes: par un seul mot dans le premier membre, et par un assemblage de mots dans le second. Est-il nécessaire de faire observer que la dé- finition doit joindre la clarté à l’exactitude, qui autrement serait obtenue en pure perte? « Une définition obscure, dit Aristote, ressemble à ces tableaux de mauvais peintres, qui sont inintel- ligibles à moins d’une inscription pour en expli- quer le sujet. » 11 est donc essentiel, lorsqu’on définit, d’éviter les métaphores, qui voilent trop souvent les pensées et peuvent donner lieu à de graves méprises. On doit, au contraire, recher- cher la précision, qui produit la netteté et qui fait que la parole n’est, pour ainsi dire, que l’i- dée devenue sensible dans le discours. Si nous avons bien fait comprendre le procédé de la définition, on voit que ce procédé consiste à développer la série des éléments que ren- ferme une idée. Étant donné un objet dont la notion est indéterminée, analyser cette notion pour l’éclaircir : voilà en deux mots toute la définition. Une conséquence à tirer de là, c’est que tous les objets ne peuvent être définis, mais unique- ment ceux dont la nature est complexe. Je puis définir l’homme; pourquoi? Parce que l’homme est un sujet composé, qui se prête, par consé- quent, à l’analyse : mais je ne puis pas définir l’être dont la simplicité s’y refuse. Aristote avait entrevu cette vérité, que Pascal et Arnauld ont mise dans tout son jour. Il ne fallait donc pas en rapporter la découverte à Locke, comme on l’a souvent fait. Par une raison différente, les individus tels que Socrate, Pierre, Paul, échappent aussi à la définilion^ car ils ont la même essence, et ils ne se distinguent les uns des autres que par le nombre et d’autres accidents qui ne sont pas susceptibles d’être formulés avec rigueur. Tout ce que je puis faire est d’indiquer les caractères qui servent à les reconnaître, comme la péné- tration, la douceur, la fermeté, les traits du vi- sage, l’attitude du corps, etc. Une autre conséquence de la nature de la dé- finition, c’est que l’analyse du sujet pouvant être fautive, soit qu’on ait omis des attributs es- sentiels, ou qu’on ait tenu compte d’éléments inutiles, elle est elle-même dans beaucoup de cas hypothétique et infidèle. A quoi se réduisent les définitions du sec, de l’humide et de tant d’au- tres phénomènes naturels, si péniblement éla- borés par Aristote? Qui peut dire où iront celles qu’on donne maintenant de l’eau et de l’air, lorsque la chimie aura fait de nouveaux pro- grès? Pour démontrer une définition, il faudrait établir l’exactitude de la division qui y sert de base, et le plus souvent on ne le peut. Les conceptions rationnelles n’ont aucun avan- tage sur les données expérimentales, et il est également ou même plus délicat de les détermi- ner avec une entière certitude. On dispute en- core sur la nature du temps, de l’espace, du bien et du beau. La vraie définition de la sub- stance avait échappé aux cartésiens et n’a été donnée que par Leibniz. N’est-il pas arrivé à toute une secte de philosophes de méconnaître les attributs essentiels de l’âme, au point de la confondre avec la matière? Les définitions se ressentent du défaut de nos méthodes et, en gé- néra^ elles partagent toutes les vicissitudes de la connaissance humaine ; imparfaites dans l’origine, elles se rectifient à mesure que l’esprit avance.