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Il n’y a qu’une .science, la géométrie, où elles aient une évidence immédiate, qui a fait décer- ner aux mathématiques le nom de sciences i ictea par excellence. A quoi tient cette clarté, rigueur, cette absolue et irrésistible certi- tude d’une classe particulière de définitions? C’est, comme l’a très-bien vu Kant, que les fi- gures, et en général les objets de la géométrie, sont des produits de la pensée, qui y met préci- sément ce qu’elle veut, et qui sait tout ce qu’elle y met, à peu près comme l’horloger connaît une pendule. Par exemple, décrire un cercle, c’est tracer une figure terminée par une courbe dont ints sont à une égale distance d’un point intérieur qu’on appelle centre : le mot de cercle résume le fait ; la définition l’expose, et il ne reste au géomètre qu’à en tirer les dernières conséquences. Il en est de même pour les trian- gles, pyramides, ellipses, etc., que nous pouvons toujours construire en aussi grand nombre qu’il nous plaît; tout y est d’une clarté parfaite pour l’intelligence, parce qu’elle engendre elle-même le sujet à définir. Comme, au contraire, les sub- stances, le temps, l’espace, les phénomènes nous sont donnés par la nature, et que nous ne les créons pas; nous les ignorons d’abord, et plus tard nous ne parvenons à les connaître que par un travail lent et peu sûr de la réflexion. Les ouvrages où la théorie de la définition est exposée sont innombrables ; il nous suffira d’in- diquer parmi les anciens : Aristote, Derniers Analytiques, liv. II; Topiques, liv. VI; et parmi les modernes : Pascal, Réflexions sur la Géométrie; — Logique de Port-Royal, l re par- tie, ch. xn, xni et xiv ; 2 e partie, ch. xvi ; — Locke, Essais sur l’Entend, hum., liv. III, ch. ni et iv ; — Leibniz, Nouv. Essais sur l’En- tendement humain, liv. III, ch. in et iv; — Kant, Logique, trad. par J. Tissot, Paris, 1840, § 99 et suiv.; — Laromiguière, Leçons de Philo- sophie, Impartie, leçons xn et xin. C. J.


DEGÉRANDO (Marie-Joseph), né à Lyon le 29 février 1772, fut élevé chez les oratoriens de cette ville. En 1794, lors du siège de Lyon par les armées républicaines, il prit les armes pour la défense de sa cité natale, fut fait prisonnier et n’échappa à la mort que par miracle. Con- traint, pour sauver sa vie, de chercher un asile à l’étranger, il se réfugia d’abord en Suisse, et de là dans le royaume de Naples. En 1796, après un exil qui avait duré environ trois années, l’é- tablissement du Directoire permit à M. Degé- rando de rentrer en France. Il passa quelques mois à Lyon; mais bientôt, cédant aux instances de Camille Jordan, son parent et son ancien condisciple, qui le pressait de le suivre à Paris, il vint s’établir dans cette ville. Au 18 fructidor, il fut assez heureux pour sauver la liberté de son courageux ami, qu’il déroba aux recherches de la police et accompagna dans sa fuite en Al- lemagne. Agé alors de vingt-cinq ans, et resté sans emploi, malgré sa capacité et son intelli- gence précoces, il résolut d’embrasser la car- rière des armes qu’entouraient de prestige les brillantes victoires de l’armée d’Italie, et s’en- gagea comme chasseur au sixième régiment de cavalerie. Vers le même temps, la Classe des Sciences morales et politiques mettait au con- cours cette curieuse question, empruntée à la philosophie de Condillac: « Quelle est l’influence des signes sur la faculté de penser? » M. Degé- rando concourut, obtint le prix, et en reçut la nouvelle peu de temps après la bataille de Zu- rich, à laquelle il avait pris part. Ce premier triomphe, qui fut suivi de succès non inoins brillants dans d’autres luttes académiques, fixa l’attention du gouvernement sur M. Ucgérando, devant lequel s’ouvrit une carrière plus con- forme à sa vocation que l’état milit en 1799, au ministère <b’ l’intérieur par Lucien Bonaparte j él secrétaire général par M. de Champagny; en 1805, il accompagna Napoléon dans son voyage en Italie; il est nommé maître des requêtes en 1808; l’ait ensuite partie de la junte admini tive de Toscane et de la consulte établie près les États romains ; reçoit, en 1811, le titre de conseiller d’État, et, en 1812, est appelé à l’in- tendance de la Catalogne. Lors de la chute de l’empire, M. Degérando conserva la position élevée qu’il devait moins encore aux circon- stances qu’à son noble caractère et à ses talents éprouvés ; mais ayant été envoyé, pendant les Cent-Jours, en qualité de commissaire extraor- dinaire dans le département de la Moselle pour y organiser la défense du territoire national, il fut mis à l’écart durant les premiers mois de la seconde restauration. Rentre peu de temps après au conseil d’État, il joignit sa voix à celles de MM. Allent, Bérenger, Cormenin, etc., pour dé- fendre avec fermeté le maintien des ventes na- tionales et le respect des droits acquis pendant la révolution et l’empire. En 1819, il ouvrit, à la Faculté de droit de Paris, un cours de droit public et administratif que les ombrageuses dé- fiances du pouvoir suspendirent en 1822, mais qu’il reprit en 1828, sous le ministère ré] arateur de M. de Martignac. Animé du noble désir d’ê- tre utile à ses semblables, il consacrait les loi- sirs que lui laissaient les affaires et le culte as- sidu des lettres à la propagation des découvertes utiles et à des œuvres de bienfaisance. Le gou- vernement de Juillet reconnut les longs services de M. Degérando, en l’élevant, en 1837, à la pairie; il faisait depuis longtemps partie de l’A- cadémie des inscriptions et belles-lettres, et de celle des sciences morales et politiques. Il est mort le 9 novembre 1842, à l’âge de soixante- dix ans. Ce n’est pas ici le lieu de considérer dans M. Degérando l’administrateur sage et intègre, dont le court passage a laissé les plus honorables souvenirs en Italie et en Catalogne; ni le publi- ciste consommé qui a si longtemps éclairé le conseil d’État de ses lumières, et dont l’ensei- gnement a fondé en France la théorie du droit administratif; ni même l’homme de bien, mem- bre dévoué de plusieurs sociétés charitables et auteur d’utiles ouvrages consacrés à la bienfai- sance; parmi tant de titres divers que M. Degé- rando s’est acquis à la reconnaissance des amis de leur pays, nous n’avons à apprécier que ses travaux en philosophie. Vers l’époque où commence la carrière philo- sophique de M. Degérando, la doctrine de Con- dillac était en possession d’une autorité exclu- sive et absolue. Les rares adversaires qu’elle conservait gardaient un silence prudent, et ses nombreux admirateurs n’hésitaient pas à la pré- senter avec plus d’enthousiasme que de réflexion, comme le dernier mot de la raison humaine, sur les problèmes qui l’intéressent le plus. Cédant au préjugé universel, M. Degérando suivit d’a- bord la pente où les meilleurs esprits étaient alors engagés. Son premier ouvrage, travail in- génieux sur les signes et l’art de penser, consi- dérés dans leurs rapports mutuels (4 vol. in-8, 1800), reproduit en général la méthode et théories du maître. Le point de départ de l’au- teur est ce principe, universellement acce dit-il, par les philosophes de nos jours, que l’origine de toutes les connaissances huma est dans la sensation, ou, ce qui revient au i ■. dans l’impression des objets extérieurs