stration vraiment scientifique. Ce mode de démonstration a d’ailleurs l’inconvénient de n’arriver à la vérité qu’à travers l’erreur : inconvénient surtout sensible dans les propositions de géométrie, où l’on est obligé de donner à cette erreur passagère une sorte de consistance par des figures absurdes.
La démonstration ascendante et la démonstration descendante n’étant que la démonstration directe dans les deux marches qu’elle peut suivre, sont de même valeur pour la science, et, sous ce rapport, il n’y a pas lieu à les comparer ; mais peuvent-elles être indifféremment employées l’une à la place de l’autre ?
Quand il s’agit de démontrer ou de vérifier une proposition, toute la difficulté consiste à trouver un principe évident auquel le sujet de cette proposition se rattache, et ensuite à mettre à découvert cette liaison et ce rapport. Si l’on sait déjà quel est ce principe et quels sont les intermédiaires qui l’unissent à la question, il est clair que la démonstration est toute faite, qu’il n’y a plus qu’à l’énoncer sous telle ou telle forme, ce qui est assez indifférent, et que l’on peut, par exemple, énoncer d’abord le principe général, et descendre ensuite aux vérités moins générales qu’il contient. Mais si on ne sait pas quel est ce principe, s’il faut le choisir parmi ceux que l’on connaît, il est encore évident qu’il faut suivre une autre marche, qu’il faut partir du sujet lui-même, chercher dans l’examen de ses attributs à quel principe connu il nous est permis de le rattacher, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on soit arrivé au principe qui renferme la solution. C’est ordinairement ainsi que l’on procède pour trouver la démonstration elle-même plutôt que la solution du problème ; mais, la démonstration une fois trouvée, on suit le plus souvent, pour la développer aux yeux des autres, la marche descendante.
Dans tout problème à résoudre, et quelque mode de démonstration que l’on emploie, il y a deux choses : l’énoncé des données et le dégagement des inconnues. Exprimer en termes simples et précis les attributs connus, les données, et indiquer avec la même exactitude et la même précision les points à éclaircir, les attributs à déterminer, les inconnues, c’est poser l’état de la question ; dégager les inconnues par leurs rapports avec les connues, c’est résoudre la question. Or, dans la démonstration, il faut apporter le plus grand soin à l’examen des données. Si les données ne suffisent pas pour rattacher les inconnues au principe qui doit les déterminer, toute démonstration est impossible. Cette considération est la première qu’il faudrait faire, et, comme le dit Condillac (Logique, 2e partie, ch. viii), cette fois avec pleine vérité, c’est celle qu’on ne fait presque jamais. On démontre mal, ou plutôt on ne démontre pas du tout, parce que les données d’une question ne suffisent pas encore, et qu’au lieu de s’en procurer d’autres, on torture par de vains efforts celles que l’on a, on les dénature, et l’on regarde comme insoluble une question qu’on a abordée trop à la hâte et sans réflexion.
La théorie de la démonstration a été exposée longuement par l’auteur de l’Organon, qui l’a portée sur-le-champ à la dernière perfection. Aussi Kant a-t-il eu raison de dire : « La logique n’a rien gagné pour le fond depuis Aristote. »
Consultez l’Organon d’Aristote et particulièrement les Analytiques ; — l’Introduction de M. Barthélémy Saint Hilaire à sa traduction de l’Organon ; — Pascal, Pensées, Ire partie. art. 2 et 3 ; — Bossuet, Connaissance de Dieu et de soi-même, ch. i, § 13 à 17 ; Logique, liv. II. ch. xii, et liv. III ; — Condillac, Logique ; — Ravaison, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, vol. Ier, 3e partie, liv. III, ch. ii. — Voy. les articles Aristote, Logique. J. D. J.
DENYS l’Aréopagite. Il n’est parlé qu’une fois dans les Actes des apôtres (ch. xvii, ꝟ 34) de Denys, juge de l’aréopage, qui se convertit à la suite de la prédication de saint Paul. Devenu plus tard évêque d’Athènes, il paraît avoir souffert le martyre. Néanmoins, on ne connaît pas l’année précise de sa mort. Quant aux traites théologiques attribués à ce saint, la critique a depuis longtemps démontré qu’ils ne lui appartiennent pas. Il n’en est question, en effet, pour la première fois, qu’à l’occasion de la conférence des sévériens et des orthodoxes, dans le palais de l’empereur Justinien, en 532, à Constantinople. D’ailleurs, diverses allusions à des faits et à des passages d’auteurs postérieurs au siècle des apôtres, que l’on rencontre dans ces écrits, ne permettent pas de les rapporter à ces premiers jours du christianisme. L’opinion la mieux fondée est celle qui leur donne pour auteur un chrétien du ve siècle, imbu des doctrines mystiques du platonisme alexandrin. C’est ce qui ressortira du rapide exposé que nous allons faire des principes contenus dans ces livres.
Les ouvrages qui nous sont parvenus sous le nom de Denys l’Aréopagite sont : 1° le traité de la Hiérarchie céleste ; 2° celui de la Hiérarchie ecclésiastique ; 3° celui des Noms divins ; 4° la Théologie mystique ; 5° des lettres, au nombre de dix, sur divers sujets de théologie, de discipline et de morale.
Le traité de la Hiérarchie céleste a pour but principal de définir la nature des anges, et de décrire les différentes classes dans lesquelles ils se partagent, selon la mesure diverse de leur participation à la lumière divine. Celui de la Hiérarchie ecclésiastique montre, dans la constitution du sacerdoce chrétien, une image de la hiérarchie céleste, et dans les cérémonies, principalement dans les sacrements, les symboles de l’action invisible que Dieu accomplit sur les créatures. Le traité des Noms divins a pour but d’expliquer comment, sans manquer au respect dû à la majesté suprême, qu’aucune langue ne saurait décrire, nous pouvons la désigner par des noms qui n’expriment que des faces particulières de son essence, et qui ne les expriment qu’en la revêtant de conditions finies qui ne sont point en harmonie avec elle. La Théologie mystique a pour objet, au contraire, Dieu considéré en soi. Elle est destinée à opposer à la théologie symbolique du traité des Noms divins l’idée du Dieu absolu, inaccessible, imparticipable.
C’est là le point important, caractéristique de la philosophie du Pseudo-Denys l’Aréopagite. Dans tout le reste de sa doctrine, il est chrétien, et chrétien orthodoxe. Par ce côté seul il semblerait se détacher du christianisme, si ses efforts ne tendaient à accorder ensemble l’Un-principe du platonisme alexandrin et la conception trinitaire de la théologie orthodoxe. Il reste au moins chrétien d’intention, lors même qu’il dépasse, dans son élévation mystique, les limites dans lesquelles sont circonscrites les formules de foi. Il faut cependant reconnaître que ce point élevé est le terme auquel il parvient.
Le christianisme s’arrête a la Trinité. C’est à ses yeux non-seulement la conception la plus haute à laquelle l’homme puisse parvenir, mais la seule objectivement véritable. Dieu, pour le chrétien, n’est pas seulement trinitaire dans l’idée la plus parfaite que nous pouvons nous en faire ; il est tel en soi, dans sa réalité absolue. L’écrivain pseudonyme ne peut donc pas, sans