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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/383

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DENY
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cesser d’être orthodoxe, faire planer au-dessus du dogme chrétien le Dieu inaccessible des alexandrins. On ne peut pas même ici se retrancher derrière quelque prétendu oubli, derrière quelque défaut d’explication ; car, sur ce point, il s’explique aussi complètement qu’il est possible au chapitre v de la Théologie mystique, où il dit qu’en Dieu il n’y a ni science, ni vérité, ni sagesse, ni paternité, ni filiation, finissant par cette conclusion singulière sur l’essence divine : « Nous ne la posons ni ne l’ôtons, nous ne la nions ni ne l’affirmons, d’autant que cette cause universelle et unique de toutes choses est par-dessus toute affirmation, comme aussi est au-dessus de toute négation celui qui est distinct de toutes choses et surpasse absolument toutes choses. »

Tel est le point principal sur lequel diffère du dogme catholique la doctrine renfermée dans les écrits attribués faussement à saint Denys l’Aréopagite ; il est aussi du petit nombre de principes par lesquels l’auteur sort du domaine de la théologie pour entrer dans celui de la philosophie. Les axiomes suivants, que nous avons fidèlement traduits ou résumés des traités cités plus haut, développeront suffisamment le système qui y est renfermé, et montreront sans peine que l’originalité de cette doctrine appartient à l’école néo-platonicienne d’Alexandrie.

1° Dieu est l’auteur, le principe, la cause, l’essence et la vie de toutes choses (Noms divins, ch. ier).

2° Dieu est dit : unité de sa simplicité suprême, trinité des trois hypostases de sa fécondité, paternité divine et raison de la paternité humaine (Ib.) ;

3° Il convient à cette cause de toutes choses, et de n’avoir point de nom, et d’avoir les noms de toutes choses, afin qu’elle soit reconnue comme l’absolue maîtresse de l’universalité des êtres, et qu’elle-même, comme il est écrit, soit toute en tous (Ib.) ;

4o Nous appelons distinction divine les émanations (προόδους) du bien divin. Car, donnant l’être à tous et y faisant pénétrer l’influence de toutes sortes de bien, il se distingue tout en restant uni, se pluralise sans sortir de sa simplicité, se multiplie sans briser son unité (ubi supra, ch. iii) ;

5° Tout ce qui reçoit son être du beau et du bien et est dans le beau et le bien, et tout ce qui est et se fait par génération est et se fait par l’amour du beau et du bien. Toutes choses tendent vers lui, sont mues et contenues par lui. Par lui et en lui est tout principe, qu’il soit exemplaire, final, efficient, formel ou matériel. En un mot, tout ce qui est existe dans le beau et le bien d’une manière suressentielle. Il est le principe placé au-dessus de tout principe, la fin qui s’élève au-dessus de toute fin ; de lui, en lui, par lui et vers lui sont toutes choses (ubi supra, ch. iv) ;

6° L’amour divin est bon aussi ; il procède du bon et du beau, et existe par le bon et le beau. Cet amour, cause bonne de toutes choses, préexistant dans le bon et le beau d’une manière suprême, avant qu’il fût en aucune autre chose, n’a pas permis qu’il restât en lui-même sans engendrer, et l’a poussé à agir selon la force surabondante génératrice des choses. Il en est de même de ce qui est digne d’amour, il procède de la même origine (Ib.) ;

7° Par l’amour divin, angélique, intellectuel, animal même et physique, nous entendons une force unissante et mêlante, qui meut les choses supérieures à prendre soin des choses inférieures, resserre le lien mutuel qui réunit les choses égales entre elles, et dispose les inférieures à aspirer aux supérieures (ubi supra, ch. v).

On connaît la doctrine, appartenant à une haute antiquité, qui, pour exprimer combien Dieu est inaccessible à l’intelligence humaine, le considère comme non-être par rapport à nous (μὴ ὄν), en ce sens que Dieu, dans son essence absolue, est pour nous non manifesté. Cette doctrine, familière aux alexandrins, remonte cependant plus haut que leur école. Elle est fondée sur ce que toute forme attribuée à Dieu est une limitation qui en change l’essence et la nature, et sans laquelle nous ne pouvons le concevoir. L’auteur inconnu dont nous analysons ici les principes a reproduit sous diverses formes, comme on va le voir, cette conception négative de Dieu, qu’il avait sans doute immédiatement puisée à la source de la philosophie alexandrine. Voici la manière dont il la présente.

8° Dieu est connu en toutes choses. Il est aussi connu sans elles. Il est connu par notre faculté de connaître, il l’est aussi en vertu de l’ignorance qui nous voile sa perfection. Nous l’atteignons par l’intelligence, par la raison, la science, le tact, la sensation, le jugement, l’imagination ; par les noms qu’il reçoit, etc. ; et cependant, sous un autre point de vue, il n’est ni pensé, ni parlé, ni nommé ; il n’est rien des choses qui sont, il n’est connu dans aucune d’elles ; il est tout entier en toutes choses, rien dans aucune ; toutes choses le font connaître à tous, rien ne le fait connaître à personne. Nous pouvons en effet, produire sur Dieu, avec justice, ces affirmations contraires (ubi supra, ch. vii).

9° Il faut entendre les choses divines comme il est convenable à la grandeur de Dieu et digne d’elle. Lorsque nous parlons de la non-intelligence et de la non-sensibilité de Dieu, il faut entendre par là, non pas une privation qui soit en lui, mais, au contraire, une excellence et une supériorité. Comme nous attribuons l’essence de la raison à celui qui est au-dessus de la raison, la non-perfection à celui qui est au-dessus de toute perfection, avant toute perfection ; que nous considérons comme ténèbres insaisissables et invisibles sa lumière inaccessible, à cause de sa supériorité sur la lumière visible ; de même, l’entendement divin contient toutes choses, par une connaissance absolument, éternellement distincte de ces choses, connaissance qu’il possède en tant que cause, connaissant par anticipation, et produisant, dans le fond le plus intime de soi-même, les anges avant qu’ils fussent, et dès le commencement, s’il est permis de le dire, connaissant toutes choses et les amenant à l’être (Ib.).

10° L’être, en toutes choses et dans tous les siècles, vient de celui qui est avant l’être : toute éternité et tout temps procèdent de lui. Celui qui devance l’être est le principe et la cause du temps et de l’éternité, comme de toute chose qui est, en quelque façon qu’elle soit. — L’être lui-même vient de ce qui précède toutes choses, du premier, du principe ; c’est de ce principe que vient l’être, ce n’est pas ce principe qui vient de l’être (ubi supra, ch. v).

L’auteur reproduit aussi dans ses ouvrages la théorie des idées que les philosophes alexandrins avaient empruntée à Platon, et avaient développée. Avec la doctrine des exemplaires (παραδείγματα) se pose naturellement le principe du réalisme platonicien.

11° Les exemplaires sont les raisons essentielles des choses en Dieu ; ils préexistent en lui à tous les êtres créés (Ib.).

12° Les exemplaires des choses préexistent tous par une seule, simple et suressentielle union en celui qui est la cause de toutes choses (Ib.).