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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/392

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une cause de plaisir ou de douleur. Mais un pareil tableau, s’il devait embrasser tous les faits de détail, nous entraînerait beaucoup trop loin ; aussi nous bornerons-nous à un petit nombre d’aperçus généraux.

Parmi les désirs actuels de notre âme, il en est qu’elle a apportés en naissant ; il en est d’autres qu’elle tient des circonstances et de l’habitude. Les premiers peuvent être appelés originels ; les seconds, acquis.

Les désirs originels dépendent de la constitution de l’homme, et seulement de sa constitution ; aussi se retrouvent-ils chez tous les individus, à quelque nation que ces individus appartiennent, et quelle que soit la position où ils vivent. Dès les premières années de l’existence, on les voit se manifester ; ils se développent dans la jeunesse et l’âge mûr, et subsistent jusque dans la plus extrême vieillesse. C’est en vain qu’on essayerait d’en rendre raison : tout ce que l’on peut dire, c’est que nous les éprouvons parce que nous sommes ainsi faits. Le rôle de la volonté n’est donc pas de les étouffer, car, en cela, elle tenterait une œuvre impossible ; mais d’en prévenir les déviations, de les contenir, de les modérer et de leur refuser toute satisfaction illégitime, en leur accordant celle qu’ils peuvent légitimement réclamer.

Au nombre de ces désirs primitifs et innés, qui marquent véritablement les fins dernières de l’homme, nous indiquerons la curiosité ou désir de connaissance, l’ambition ou désir de pouvoir, la sympathie ou amour de nos semblables. Il n’est pas un homme, en effet, pour qui la découverte de la vérité ne soit, dès son plus jeune âge, une source de délicieuses émotions, et qui ne la recherche avec ardeur. Il n’en est pas un qui reste insensible à la possession et à l’exercice du pouvoir, depuis le monarque absolu qui dispose de la vie et de la fortune de ses sujets, jusqu’au laboureur qui tourmente la terre, jusqu’à l’enfant qui brise les objets de ses plaisirs. Il n’est pas un homme, enfin, qui ne se plaise au commerce de ses semblables, et pour qui la solitude ne soit une cause de tristesse et d’affliction profonde. De là les progrès des sciences cultivées chez tous les peuples ; de là les luttes perpétuelles de l’homme contre la nature physique, en vue d’asservir et d’améliorer sa condition terrestre ; de là, enfin, l’établissement des familles et des sociétés, et toutes les institutions qui s’y rattachent. La curiosité, l’ambition, la sympathie sont la source d’un grand nombre d’autres passions, moins générales qu’elles-mêmes, à n’en considérer que l’objet, mais aussi profondes, aussi durables, telles que l’amour du beau et des arts, celui de l’indépendance, des honneurs, de l’estime, et les affections de toutes sortes, depuis l’amour paternel jusqu’à la philanthropie. Peut-être la Providence a-t-elle déposé encore d’autres penchants dans notre âme ; mais il n’en est certainement pas de plus puissants ni de plus féconds.

Les désirs que nous avons appelés acquis se développent généralement en présence des objets qui favorisent ou qui accompagnent la satisfaction des désirs originels. Par exemple, nous n’avons originellement reçu aucun penchant pour les richesses ; mais elles sont un moyen d’arriver au pouvoir, aux honneurs : on commence par les rechercher à ce titre, en souvenir des avantages qu’elles procurent ; on finit par les confondre les véritables biens et par les désirer pour elles-mêmes, et c’est ainsi que croît peu à peu ion de l’avarice.

Il est aisé de voir par là que les désirs acquis ne présentent aucun des caractères des désirs originels. D’abord, ils n’ont pas leurs racines dans notre constitution, mais dans un fait ultérieur, dans une association d’idées qui suppose l’expérience. On peut donc en rendre compte en indiquant l’association qui les a engendrés ; et, quand on ne réussit pas à les expliquer, c’est défaut de sagacité ou de mémoire. Secondement, ils ne sont pas universels, mais particuliers ; ils sont le propre d’une nation, d’une famille, d’un individu, et ne se trouvent pas chez les autres individus, les autres familles, les autres nations. Est-il nécessaire d’ajouter qu’ils varient avec la foule des circonstances où chaque homme peut être placé, avec les associations d’idées qu’il peut former ; que le nombre en est infini, et que, par conséquent, ce serait une tâche aussi fastidieuse que stérile de chercher à les énumérer ?

Un dernier point digne d’être remarqué, c’est que nos désirs originels sont, de leur nature, inépuisables, insatiables. Vainement nous les jugerions comblés par la possession de l’objet qu’ils poursuivaient le plus ardemment : apaisés pour quelques heures, ils ne tardent pas à appeler de nouvelles satisfactions, aussi vaines et aussi fugitives que les premières. Quel est l’ambitieux entouré d’honneurs et de gloire ; quel est le savant riche des dons du génie et des acquisitions de l’expérience, qui ne soient mécontents l’un de sa science, l’autre de son autorité, et qui ne rêvent un sort meilleur ? L’homme désire toujours au delà de ce qu’il obtient. De même que l’intelligence porte en soi l’idée de l’infini, de même il semble que l’infini soit le premier besoin de la sensibilité ; car aucun objet borné ne peut remplir le vide immense de notre âme. Un fait pareil, fût-il isolé, démontrerait invinciblement les hautes destinées qui attendent l’humanité, et que les misères de cette vie ne lui permettent pas d’accomplir.

Consultez : Reid. Essais sur les facultés actives de l’homme, liv. III, p. 2, ch. ii {Œuvres compl., t. VI) ; — Dugald Stewart, Esquisses de Philosophie mor., 2e partie, ch. i, sect. III ; Philosophie des facultés actives et morales de l’homme, liv. I, ch. ii ; — et les articles Amour, Instinct, Penchants, Sensibilité.

C. J.

DESLANDES (André-François Boureau-) naquit à Pondichéry en 1690. Arrivé en France encore très-jeune, il rencontra le P. Malebranche, qui essaya de le faire entrer dans l’Oratoire. Mais, comme Deslandes nous l’apprend lui-même dans une note (Histoire critique de la Philosophie, t. IV, p. 192), des considérations de famille et un voyage indispensable qu’il devait faire en pays étrangers l’empêchèrent, à son grand regret, de prendre ce parti. Après avoir exercé pendant de longues années, d’abord à Rochefort, puis à Brest, les fonctions de commissaire général de la marine, il se retira à Paris, où il mourut le Il avril 1757. Deslandes a beaucoup écrit et sur toutes sortes de sujets, sur la marine, le commerce, la physique, l’histoire naturelle, la politique et les mœurs. Il a même fait des romans et des vers ; mais ce qui a fait sa réputation, et le rend digne d’être mentionné avec honneur dans ce recueil, c’est son Histoire critique de la Philosophie (3 vol. in-12, Amst., 1737, et 4 vol. in-12, 1756), le premier livre de ce genre qui ait paru en France, et qui hors de notre pays n’a pas eu d’autre antécédent que la compilation de Jonsius (de Scriptoribus histi philosophiœ libri quatuor, in-4, Francfort, 16.’>9, et Iéna, 1716) et l’histoire informe de Stanley. L’ouvrage de Deslandes ne se recommande pas seulement à notre attention par l’époque où il parut, il intéresse aussi par lui-même ; il renferme, mêlées sans doute à beaucoup d’imperfections et d’erreurs, des vues saines et élevées,