sant, le Dieu suprême du paganisme, divwn pater atcjue hominum rex. Les alexandrins, àü contraire, avec leur première hypostase, admettent un Dieu inconditionnel dans lequel ils ne savent plus retrouver ni intelligence, ni liberté, ni efficace ; ainsi au sommet des êtres point de personnalité ; dans le monde, ils ne conservent pas même l’identité des substances, et font sans cesse absorber la substance inférieure par la substance supérieure ; loin de conserver après la mort l’identité personnelle, toute leur méthode, toute leur morale, tendent à la détruire dès à présent, et à produire l’unification immédiate par l’exaltation de Ya/fectus. Aussi, quand ils nomment les divinités mythologiques et introduisent des prières, des expiations, des cérémonies, semblent-ils n’emprunter que les noms des dieux sans aucun de leurs attributs, à peu près comme Aristote, qui ne laissait subsister d’autres divinités inférieures que les astres. Quelquefois ils restent fidèles à ce symbolisme absolu, et l’on trouve même dans Porphyre des explications de la grâce et de la prière, analogues à celles que donne Malebranche quand il veut sauver l’immutabilité de Dieu ; mais le plus souvent ils cherchent à accepter ces divinités d’une façon plus littérale, en leur donnant une existence individuelle, personnelle. Ils ne reviennent pas sans doute, si ce n’est poétiquement et par allégorie, à la mythologie d’Homère ; mais ils adoptent celle du Timee. Il s’établit ainsi dans l’ecole une sorte de lutte entre deux principes opposés : quelques maîtres s’attachent à la personnalité et à la liberté, et veulent les trouver à tous les degrés de l’être, en Dieu d’abord, puis dans toutes les émissions hypostati— ques, et dans l’homme ; d’autres livrent tout à l’action nécessaire de la nature dans chaque être et à des impulsions irrésistibles ; la plupart se tourmentent pour réunir les deux points de vue, et déjà Plotin, au début de l’école, se con— treait à chaque pas. Le point de vue qui semble dominer dans les divers systèmes est celui-ci : tout être intermédiaire entre le premier et le dernier a une faculté qui le rattache à ce qui précède, et une autre à ce qui suit : la première, est l’amour, l’aspiration, dont le but est l’unification ; la seconde est l’irradiation ou émission hypostatiquej dont l’effet est la constitution d’hy— postases inférieures, et l’augmentation de la multiplicité. La faculté de produire est un principe d’erreur et de chute qui appartient à l’ordre nécessaire et fatal ; la faculté de remonter et de s’unir est un principe de grandeur et d’amélioration qui appartient à l’ordre de l’amour et de l’intelligence : c’est en lui que réside la liberté, si elle peut être quelque part ; et dans tous les cas, cette liberté périt dès que l’unification est produite, et, par conséquent, elle n’est tout au plus qu’une forme transitoire de cette vie d’épreuves.
Ce qui trouble ainsi profondément les alexandrins, c’est leur mysticisme. Ils portent la peine + d’avoir reconnu l’existence d’une faculté intuitive supérieure à la raison ; la force active et intelligente qui a conscience d ? elle-même, qui se gouverne elle-même, qui se possède enfin, après avoir cru réaliser de bonne foi une abdication impossible, fait irruption de tous les côtés et cherche à se ressaisir elle-même. La liberté, la raison font effort pour rentrer dans la psychologie, dans la métaphysique, dans la théodicée ; et, comme on a d’abord détourné les yeux du Dieu infiniment infini dont la réalité se fait sentir à notre raison dans ses plus secrets sanctuaires, on ne parvient pas à se tenir dans cette conception d’un Dieu abstrait et insignifiant qu’on a mis à
la place du Dieu véritable, et l’on retombe 5 chaque pas dans l’idée païenne d’un Dieu gros-., sier, fabriqué à notre image, et d’une mythologie qui trompe ies esprits vulgaires en mettant au moins un simulacre de puissance et de vie entre Dieu et nous.
Au milieu de cette lutte entre deux esprits opposés, une pensée consolante, c’est que la morale de l’école demeura constamment pure. L’élévation et la noblesse des idées de Plotin furent transmises à ses successeurs. Porphyre menait une vie ascétique ; sur ce point l’influence de Platon resta souveraine, sinon toujours dans la pratique, du moins dans la théorie. Plusieurs revenaient même aux anciennes règles de l’institut pythagorique : on racontait des merveilles+ de la discipline des mages ; plus d’une secte philosophique de cette époque affectait une sévérité de mœurs égale aux règles monastiques des observances les plus étroites que l’on trouve dans l’Église chrétienne. On faisait ouvertement la guerre au corps, on aidait la réminiscence par des pratiques ; on voulait reconquérir de vive force la béatitude perdue, et, quoique dans un corps, mener déjà une vie angélique, ·1· βίο ; αγγελικό ; έν τω σώματι.
Les chrétiens réussissaient mieux que les philosophes dans ces voies d’austérité ; la raison en est toute simple : ils avaient une règle de foi et de conduite ; ils avaient une espérance déterminée, certaine, et, sauf les mystiques proprement dits, n’aspiraient pas. comme les platoniciens, à se confondre dans une nature supérieure Cette différence entre les chrétiens et les philosophes était une des grandes douleurs de Julien ; et ce fut sans doute une des causes de son impuissance. Au reste, il est assez remarquable que ces éclectiques intrépides, qui luttèrent si longtemps contre le christianisme, ne cherchèrent pas à le détruire en l’absorbant. Les prétendues imitations du christianisme par l’écoie néoplatonicienne ou du néoplatonisme par les chretiens, ne sont le plus souvent que le résultat d’une même influence générale qui agissait sur des contemporains. Les rapprochements que l’on a voulu faire du mystère de la sainte Trinité avec les trois personnes ou hypostases du Dieu de l’école, sont des analogies tout extérieures, et la différence des doctrines est si profonde, qu’elle exclut de part et d’autre toute idée d’emprunt. Il n’en est pas de même sur quelques points de discipline, ou sur quelques opinions plus essentiellement philosophiques ; ces communications sont naturelles, nécessaires : un système de philosophie modifie toujours les doctrines rivales ou ennemies. Il y avait d’ailleurs des apostasies et des conversions ; il y avait de nombreuses et importantes hérésies dont l’origine était évidemment philosophique, et qui, pa.· conséquent, avaient pour résultat de faire discuter une thèse philosophique en plein concile Mais à l’exception de cette influence que l’on exerce et que l’on subit, pour ainsi dire, à son insu, il n’y a pas eu de parti pris de la part des alexandrins de faire entrer les dogmes chrétiens dans leur éclectisme. Quand ils l’auraient voulu, l’Église chrétienne possédait un caractère qui la séparait éternellement de toute philosophie : elle était intolérante. Elle devait l’être : une religion tolérante, en matière de dogme, se déclare fausse par cela même ; et de plus, elle perd sa sauvegarde, ce qui fonde et assure son unité. La religion, qui repose sur l’autorité, doit se croire infaillible et se montrer intolérante, exclusive en matière de foi. La philosophie vit de liberté, et il est de son essence d’être compréhensive : le tort de l’école d’Alexandrie estde