Aller au contenu

Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parce qu’il se sert d’une observation plus atten­tive et d’une comparaison à laquelle on n’avait pas songé. Le raisonnement commence au moment où il conçoit une expérience capable de mettre cette ressemblance en pleine lumière, de vérifier son idée ou de la contredire. Si le nuage est comme un appareil électrique, il produira des effets qu’on peut déterminer a’avance, et, par exemple, on pourra en tirer des étincelles, comtne du conducteur d’une machine. C’est un exemple de ce qu’un savant appelle le raisonnement ex­périmental, c’est-à-dire une déduction fondée sur une hypothèse, et aboutissant en dernière analyse à une induction : car l’expérience faite, il n’y a pas analogie, mais ressemblance avérée entre les deux ordres de phénomènes, soumis dès lors aux mêmes conditions, expliquées par les mêmes causes prochaines. C’est un travail ordi­naire dans l’investigation des lois de la nature : observation, conception d’une similitude, déduc­tion d’une expérience, induction d’une loi, ou si l’on veut extension d’une loi déjà reconnue. Con­sidérons maintenant le troisième exemple. « Il n’est pas un naturaliste, dit M. Cournot, qui, à l’aspect d’un animal d’une espèce jusqu’à présent inconnue, occupé à allaiter ses petits, ne soit parfaitement sûr d’avance que la dissection y fera trouver un cerveau, une moelle épinière, un foie, un cœur, des poumons, etc. » Il y a évidemment ici un raisonnement fondé sur une observation : cet animal est un mammifère, voilà tout ce qu’on sait, ou plutôt tout ce qu’on voit : il a un cerveau, un cœur, etc., voilà ce qu’on affirme, ou pour parler à la rigueur, ce que l’on conçoit. Quelle est la raison qui fait passer le naturaliste d’une idée à l’autre ? C’est une liaison précédemment établie entre les caractères de l’organisation, c’est-à-dire une loi obtenue par une induction légitime. Cette loi, vérifiée pour toutes les espèces connues, peut-elle souffrir des exceptions ? Ce n’est pas absolument impossible, mais c’est tout à fait improbable. Du reste, le doute ne sera pas de longue durée, et sans recourir à la dissection, il sera facile de la vérifier pour ce cas nouveau. Entre l’induction préalablement accomplie, et son extension à un cas nouveau, devant un cas sem­blable, il y a un moment où l’esprit anticipe l’observation, ou même s’en dispense. C’est un droit qu’il s’attribue chaque fois qu’il induit, et s’il se maintenait ici dans les limites de la même espèce, on ne pourrait le lui refuser sans nier l’induction elle-même ; ni faire une obligation au savant de ne rien affirmer de l’organisation d’un chien ou d’un cheval, avant de l’avoir ouvert. Ce qui distingue donc cette inférence de l’induction simple c’est que l’espèce de l’animal est jusqu’à présent inconnue : différence insignifiante, puis­que le caractère qu’on y découvre du premier coup est précisément celui par lequel tant d’es­pèces sont rangées dans la classe des mammifè­res. On pourra donc remarquer que l’induction est un procédé dont les formes sont variables, dont la certitude est très-inégale, qui consiste à la fois à trouver la loi d’une espèce, et à ramener des espèces du même genre à une même loi ; qu’il faut induire pour établir des rapports, et induire encore pour étendre encore ces rapports à de nouveaux cas, mais on ne trouvera dans l’exemple proposé rien qui puisse le distinguer d’un cas d’induction. L’extension de la loi, quand il s’agit des rapports d’un organe avec un autre, est tout d’abord affirmée pour tous les cas où cet organe existe : et la subordination des caractères n’est pas entendue comme un accident. Jusqu’à présent, on cherche vainement un mode de rai­sonnement original auquel convienne le titre de raisonnement par analogie. Il ne reste plus que l’exemple si souvent répété depuis Reid, à savoir, le jugement problématique par lequel nous sup­posons que les planètes sont habitees, parce que ressemblant à la terre à d’autres égards, elles doivent, comme elle, servir de séjour à des êtres vivants. Il est facile de donner la formule de ce procédé : des ressemblances sont constatées entre deux ou plusieurs objets ; l’un d’eux a en outre certaine propriété qu’on ne peut observer chez les autres ; on supplée à une expérience impos­sible, et on la leur attribue par supposition. C’est ce qu’on appelle généraliser les ressemblances. Qu’il y ait dans l’esprit un penchant, ou plutôt une habitude qui le porte à réunir les faits en groupes, et à regarder comme inséparables ceux qu’il trouve souvent associés, c’est un fait bien connu ; mais ce n’est pas un principe qui puisse donner une valeur logique à cette téméraire pré­somption. Alléguer, comme on l’a fait, pour la justifier, la croyance innée en l’unité du plan de la nature, c’est gratifier l’esprit humain d’une croyance dont il ne se doute pas, qui, à la sup­poser fondée, ne peut être que le résultat d’une science consommée, et qui d’ailleurs n’explique­rait rien. En réalité, il n’y a rien de plus dans cette inférence qu’une induction commencée et qui ne peut s’achever, un projet d’induction. S’il était certain que l’existence d’une atmosphère, pour nous borner à un seul fait, fût la condition nécessaire et suffisante de l’apparition de la vie sous ses diverses formes, il deviendrait constant que telle planète, Mars par exemple, où l’on ob­serve des phénomènes météorologiques bien con­nus, est peuplé de végétaux et d’animaux. Or, nous savons bien que sans un milieu respirable la vie ne peut se manifester ; nous le savons parce que nous pouvons, à volonté, isoler un animal de ce milieu, ou l’y replonger, et que la vie s’éteint ou se rallume suivant que nous le lui enlevons ou le lui rendons. Mais nous ignorons absolument si l’air, la chaleur et les autres conditions sans lesquelles la vie ne peut se produire ici-bas, sont suffisantes pour la faire naître. Nous pouvons donc inférer d’une part qu’en l’absence d’un fluide respirable il n’y aura, même dans les régions que nous ne pouvons explorer, aucune créature animée, et il ne nous en faut pas davantage pour nous représenter, non sans une sorte d’eftroi, les espaces silencieux et déserts du globe lunaire ; mais d’autre part nous ne pouvons conjecturer avec probabilité que partout où il y aura une atmosphère et les autres conditions vitales qui se rencontrent ici-bas, elles produiront des êtres animés : quand elles seraient toutes réunies, il resterait toujours à savoir s’il ne faut pas, pour faire éclore la vie, une autre puissance, une con­dition suprême, que nous n’avons pu jusqu’à pré­sent déterminer par expérience. Ce qui est en question dans le raisonnement si hasardeux qui sert de fondement à la croyance en la pluralité des créatures animées, c’est la détermination du phénomène de la vie ; si toutes ses conditions étaient connues, comme le sont par exemple celles de Pébullition de l’eau, l’induction serait complète, et vaudrait pour tous les temps et tous les lieux. Bref, on peut toujours d’un fait inférer ses conditions, et réciproquement ; mais il faut pour cela que toutes les conditions soient con­nues ; quand une ou plusieurs d’entre elles res­tent ignorées, il n’y a pas, à proprement parler, d’induction ni de loi, et par suite on ne peut conclure sans acception du temps et de l’espace, puisqu’il n’y a pas de certitude, même pour un lieu ou un instant particuliers. Un fait ne peut se produire dans toutes ses conditions, et il suf­fit de le constater pour être certain que ces con­ditions, encore qu’elles échappent à l’observa­tion,