Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/92

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quels faits ou sur quels arguments s’ap­puie cette doctrine ? Ici encore les raisons varient selon les temps et selon les formes de l’ani­misme. Doscartcs a déjà remarqué que le com­mun des hommes, qui ne se rend pas un compte sérieux de ses croyances, attribue la vie à l’âme pour les motifs les plus puérils, par l’habitude du langage, par la force de la tradition, par la puissance qu’a l’imagination de se substituer à la raison. On se représente la mort comme la sé­paration de l’àme et du corps, et l’on en conclut que c’est l’âme qui est cause de la vie et de la mort du corps dans lequel elle entre ou dont elle se retire. On se représente l’âme elle-même, que le matérialisme le plus grossier fait toujours de la nature la plus subtile et dont les sens veulent toujours enfermer l’idée dans quelque image, comme un air ; et, parce que la fonction la plus apparemment essentielle de la vie est la respira­tion qui ne cesse qu’avec elle, on dit que l’âme s’envole avec le dernier soupir ; on appelle mou­rir expirer, rendre l’âme, efflare animam. Simples apparences, jeux de mots puérils, mais qui ont une grande puissance sur la croyance vulgaire. Des motifs de cette valeur ont certai­nement contribué à former l’opinion des anciens, mais ils en avaient aussi de plus scientifiques, et que l’animisme de nos jours ne renie pas com­plètement ■

Le mouvement a toujours frappé, comme un phénomène particulièrement considérable et di­gne d’une cause spéciale, les savants et les philo­sophes. Képler donnait une àme aux planètes, et le mens agitai molem n’est pas seulement l’ex­pression de la doctrine d’un homme ou d’une école, il est aussi celle d’une croyance si natu­relle qu’elle semble instinctive et prend chez l’enfant toutes sortes de formes. Ce qui distin­guait les êtres vivants des corps bruts, c’était, aux yeux des anciens comme aux nôtres, le mouvement, à savoir le mouvement spontané. Or, une définition de l’âme très-répandue chez les premiers physiciens était que l’âme est Ge qui produit le mouvement. Quelques pythagori­ciens la définissaient un nombre qui se meut lui-même. C’est pour cela que les uns faisaient de l’âme un air ou un feu, et que les atomistes eux-mêmes donnaient aux atomes de l’âme une forme plus mobile. C’est pour cela que Thalès disait que la pierre d’aimant a une àme parce qu’elle meut le fer. Ajoutez encore que les an— tiens ont souvent fait de l’intelligence elle— même une espêi, o de mouvement. Le principe de la vie dont le mouvement est la condition et l’instrument sera donc l’àme qui, capable de se mouvoir elle-même etparlà de penser, est seule capable aussi de mouvoir le corps.

Selon la fameuse définition d’Aristote, l’âme était >■ l’entéléchie première d’un corps naturel, organisé, ayant la vie en puissance, » c’est-à-dire la forme du corps vivant, c’est-à-dire encore un des quatre principes de toutes choses. Elle était forme et par conséquent cause du corps vivant, parce qu’elle était la perfection réalisée du corps ; a ce titre elle était donc aussi principe du corps, parce qu’elle en était la cause finale, et enfin parce qu’elle en était la cause motrice. Il n’y avait donc que la matière même du corps qui, des quatre principes nécessaires de toutes choses, ne fut pas l’àme.

Un des principaux arguments que Stahl à son tour faisait valoir, c’était que « le mouvement, étant une chose incorporelle, ne peut avoir qu’un principe im-orporel comme lui. l’àme. » 11 ap­puyait encore sa doctrine sur bien d’autres rai­sons. Il disait que l’âme est déjà la cause reconnue des mouvements volontaires et instinctifs de lo­comotion ; donc elle peut, elle doit être, elle est la cause de tous les mouvements qui composent la vie de nutrition. 11 en appelait à l’influence incontestable des passions qui précipitent ou ra­lentissent le cours du sang, troublent la diges­tion ou les autres fonctions animales. Il insistait sur la régularité des fonctions organiques qui ne pouvait être ainsi rapportée qu’à une cause in­telligente. La plus forte de toutes ses raisons el de celles que l’animisme puisse donner est, d’une part, dans la distinction profondément établie par Stahl des phénomènes vitaux, comme devant avoir une cause spéciale et des faits mécaniques ou chimiques, de l’autre, dans la vanité, l’invrai­semblance, l’impossibilité de toute autre cause dtns l’absurdite des archees et des médiateurs, dans la sagesse de l’adage:enlia non sunï multiplicanda />rceter necessitatem.

Aux plus solides d’entre ces arguments, les animistes contemporains en ajoutent quelques nouveaux. Ils disent qu’il y a dans l’âme des phé­nomènes qui, quoique très-réels, ne laissent pas de traces dans la conscience, ce qu’ils appellent des perceptions insensibles ; que la direction des fonctions vitales est un phénomène de cette es­pèce ; qu’il faut distinguer l’âme et le moi, c’est— à-dire l’âme agissant sans conscience et l’âme ayant conscience de ses actes ; que le principe de la vie c’est l’âme et non le moi. Quelques-uns vont plus loin et affirment que l’âme a une con­science positive de la vie corporelle e ! de ses fonctions vitales.

Sans parler de ceux qui ne sont pas même vi— talistes, c’est-à-dire qui considèrent la vie, non comme un phénomène spécial, ayant une cause propre, mais comme un résultat plus savant des forces mécaniques, physiques ou chimiques, tous les physiologistes et tous les philosophes qui ad­mettent que les phénomènes vitaux sont absolu­ment inexplicables par le jeu des seules forces qui gouvernent la matière brute, n’attribuent pas pour cela la vie à l’âme. L’animisme rencontre donc des adversaires, même parmi les vitalistes De quelque façon que ceux-ci résolvent le pro­blème, soit par le double dynamisme, soit par Vorganicisme, soit même qu’ils s’abstiennent de conclure et, affirmant la vie comme un phéno­mène spécial, confessent que la science est encore impuissante à la rapporter à sa véritable cause, ils opposent aux principaux arguments des anî mistes les arguments suivants.

Us disent que, si l’âme commande les morne ments de locomotion, soit volontaires, soit, inv » · lontaires, ce n’est pas une raison suffisante pour croire qu’elle gouverne aussi les fonctions vital es. car elle a conscience d’être cause des premiers, mais non pas des secondes ; ils disent que l’âmé apprend manifestement par l’expérience à diriger les uns avec précision, tandis que les fonctions vitales s’exécutent dès le premier instant avec une régularité à laquelle le temps n’ajoute rien Ils prétendent que, si de l’influence qu’exercent sur les fonctions vitales les passions de l’âme, on tire une conclusion favorable à l’animisme, on peut tirer avec la même rigueur une conclu­sion tout opposée de l’influence non moins incon testable des états du corps sur les passions, les pensées et les volontés. Ils prétendent que l’ani­misme, fût-il le vrai, ne saurait être qu’une hy­pothèse, parce que nous ne connaissons certaine­ment des actes de l’àme que ceux dont nous avons conscience ; or, si l’âme, comme le confessent la plupart des animistes anciens, modernes ou con­temporains, n’a pas conscience d’être le principe de la vie. on ne peut pas nier absolument sans doute qu’elle remplisse ce rôle, mais on peut encore bien moins légitimement l’affirmer II y en