Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/102

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de songes était réputée aussi impossible que de nos jours une campagne sans les moyens de reconnaissance fournis par l’aviation. Lorsque Alexandre le Grand eut entrepris son expédition de conquête, il avait dans sa suite les interprètes de songes les plus réputés. La ville de Tyr, qui était encore située à cette époque sur une île, opposait au roi une résistance telle qu’il était décidé à en lever le siège, lorsqu’il vit une nuit un satyre se livrant à une danse triomphale. Ayant fait part de son rêve à son devin, il reçut l’assurance qu’il fallait voir là l’annonce d’une victoire sur la ville. Il ordonna en conséquence l’assaut, et la ville fut prise. Les Étrusques et les Romains se servaient d’autres moyens de deviner l’avenir, mais l’interprétation des songes a été cultivée et a joui d’une grande faveur pendant toute l’époque gréco-romaine. De la littérature qui s’y rapporte, il ne nous reste que l’ouvrage capital d’Artémidore d’Éphèse, qui daterait de l’époque de l’empereur Adrien. Comment se fait-il que l’art d’interpréter les songes tombât en décadence et le rêve lui-même en discrédit ? C’est ce que je ne saurais vous dire. On ne peut voir dans cette décadence et dans ce discrédit l’effet de l’instruction, car le sombre moyen âge avait fidèlement conservé des choses beaucoup plus absurdes que l’ancienne interprétation des songes. Mais le fait est que l’intérêt pour les rêves dégénéra peu à peu en superstition et trouva son dernier refuge auprès des gens incultes. Le dernier abus de l’interprétation, qui s’est maintenu jusqu’à nos jours, consiste à apprendre par les rêves les numéros qui sortiront au tirage de la petite loterie. En revanche, la science exacte de nos jours s’est occupée des rêves à de nombreuses reprises, mais toujours avec l’intention de leur appliquer ses théories psychologiques. Les médecins voyaient naturellement dans le rêve, non un acte psychique, mais une manifestation psychique d’excitations somatiques. Binz déclare en 1879 que le rêve est un « processus corporel, toujours inutile, souvent même morbide et qui est à l’âme universelle et à l’immortalité ce qu’un terrain sablonneux, recouvert de mauvaises herbes et situé dans quelque bas-fond, est à l’air bleu qui le domine de si haut ». Maury compare le rêve aux contractions désordonnées de la danse de Saint-Guy, en