Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/404

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se complaisant aux satisfactions imaginaires de désirs, on éprouve une satisfaction que ne trouble d’ailleurs en rien la conscience de son irréalité. Dans l’activité de sa fantaisie, l’homme continue donc à jouir, par rapport à la contrainte extérieure, de cette liberté à laquelle il a été obligé depuis longtemps de renoncer dans la vie réelle. Il a accompli un tour de force qui lui permet d’être alternativement un animal de joie et un être raisonnable. La maigre satisfaction qu’il peut arracher à la réalité ne fait pas son compte. « II est impossible de se passer de constructions auxiliaires », dit quelque part Th. Fontane. La création du royaume psychique de la fantaisie trouve sa complète analogie dans l’institution de « réserves naturelles » là où les exigences de l’agriculture, des communications, de l’industrie menacent de transformer, jusqu’à le rendre méconnaissable, l’aspect primitif de la terre. La « réserve naturelle » perpétue cet état primitif qu’on a été obligé, souvent à regret, de sacrifier partout ailleurs à la nécessité. Dans ces réserves, tout doit pousser et s’épanouir sans contrainte, tout, même ce qui est inutile et nuisible. Le royaume psychique de la fantaisie constitue une réserve de ce genre, soustraite au principe de réalité.

Les productions les plus connues de la fantaisie sont les « rêves éveillés » dont nous avons déjà parlé, satisfactions imaginées de désirs ambitieux, grandioses, érotiques, satisfactions d’autant plus complètes, d’autant plus luxurieuses que la réalité commande davantage la modestie et la patience. On reconnaît avec une netteté frappante, dans ces rêves éveillés, l’essence même du bonheur imaginaire qui consiste à rendre l’acquisition de plaisir indépendante de l’assentiment de la réalité. Nous savons que ces rêves éveillés forment le noyau et le prototype des rêves nocturnes. Un rêve nocturne n’est, au fond, pas autre chose que le rêve éveillé, rendu plus souple grâce à la liberté nocturne des tendances, déformé par l’aspect nocturne de l’activité psychique. Nous sommes déjà familiarisés avec l’idée que le rêve éveillé n’est pas nécessairement conscient, qu’il y a des rêves éveillés inconscients. Ces rêves éveillés inconscients peuvent donc être la source aussi bien des rêves nocturnes que des symptômes névrotiques.