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Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/45

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dès qu’on le prononce devant lui ? Ou, encore, il y a des cas où les actes manqués se multiplient, s’enchaînent entre eux, se remplacent réciproquement. Une première fois, on oublie un rendez-vous ; la fois suivante, on est bien décidé à ne pas l’oublier, mais il se trouve qu’on a noté par erreur une autre heure. Pendant qu’on cherche par toutes sortes de détours à se rappeler un mot oublié, on laisse échapper de sa mémoire un deuxième mot qui aurait pu aider à retrouver le premier ; et pendant qu’on se met à la recherche de ce deuxième mot, on en oublie un troisième, et ainsi de suite. Ces complications peuvent, on le sait, se produire également dans les erreurs typographiques qu’on peut considérer comme des actes manqués du compositeur. Une erreur persistante de ce genre s’était glissée un jour dans une feuille sociale-démocrate. On pouvait y lire, dans le compte rendu d’une certaine manifestation : « On a remarqué, parmi les assistants, Son Altesse, le Konrprinz » (au lieu de Kronprinz, le prince héritier). Le lendemain, le journal avait tenté une rectification ; il s’excusait de son erreur et écrivait : « nous voulions dire, naturellement, le Knorprinz » (toujours au lieu de Kronprinz). On parle volontiers dans ces cas d’un mauvais génie qui présiderait aux erreurs typographiques, du lutin de la casse typographique, toutes expressions qui dépassent la portée d’une simple théorie psycho-physiologique de l’erreur typographique.

Vous savez peut-être aussi qu’on peut provoquer des lapsus de langage, par suggestion, pour ainsi dire. Il existe à ce propos une anecdote : un acteur novice est chargé un jour, dans la « Pucelle d’Orléans », du rôle important qui consiste à annoncer au roi que le Connétable renvoie son épée (Schwert). Or, pendant la répétition, un des figurants s’est amusé à souffler à l’acteur timide, à la place du texte exact, celui-ci : le Confortable renvoie son cheval (Pferd)[1]. Et il arriva que ce mauvais plaisant avait atteint son but : le malheureux acteur débuta réellement, au cours de la représentation, par la

  1. Voici la juxtaposition de ces deux phrases en allemand :
    1° Der Connétable schickt sein Schwert zurück ;
    2° Der Comfortabel schickt sein Pferd zurück.
    Il y a donc confusion d’une part, entre les mots Connétable et Comfortabel ; d’autre part, entre les mots Schwert et Pferd.