Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/45

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f) On retrouve l’effet du « rapport personnel » dans le cas suivant, communiqué par M. Jung[1] : « Un monsieur Y aimait sans retour une dame qui ne tarda pas à épouser un monsieur X. Or, bien que Y connaisse depuis longtemps X et se trouve même avec lui en relations d’affaires, il oublie constamment son nom, au point qu’il est souvent obligé, lorsqu’il veut écrire à X, de demander son nom à des tierces personnes. »

Dans ce cas, cependant, les motifs de l’oubli sont plus transparents que dans les précédents, régis par la loi du « rapport personnel ». Ici l’oubli apparaît comme une conséquence directe de l’antipathie que Y éprouvait à l’égard de son heureux rival ; il ne veut rien savoir de lui « qu’il ne soit pas question de lui[2]. »

g) Le motif de l’oubli d’un nom peut aussi être d’un caractère plus fin et résider dans une colère pour ainsi dire « sublimée » à l’égard de son porteur. C’est ainsi qu’une demoiselle J. de K., de Budapest, écrit : « Je me suis composé une petite théorie. J’ai observé notamment que des hommes doués pour la peinture ne comprennent rien en musique, et inversement. Il y a quelque temps, je m’entretenais là-dessus avec quelqu’un à qui j’ai dit : « Jusqu’à présent ma constatation s’est toujours vérifiée, à l’exception d’un seul cas. » Mais lorsque j’ai voulu citer le nom de cette seule personne formant exception à ma règle, je fus hors d’état de me le rappeler, tout en sachant que le porteur de ce nom est un de mes amis les plus intimes. En entendant, quelques jours plus tard, prononcer par hasard ce nom, je le reconnus aussitôt comme étant celui du démolisseur de ma théorie. La colère que, sans m’en rendre compte, je nourrissais à son égard, s’est manifestée par l’oubli de son nom qui m’était cependant si familier. »

  1. Dementia praecox, p. 52.
  2. Vers de Heine : « Nicht gedacht soll seiner werden ! »