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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

vous les pourrez bien voir et aviser ; et si vous conseillez qu’ils soient combattus, ils n’en seront jà de par nous refusés, car voirement toutes les paroles que vous avez dites et mises avant, avons-nous dites. » — « De par Dieu ! dit l’amiral, et je le veuil. »

Depuis ne demeura mie longuement que le comte de Douglas et les autres barons d’Escosse menèrent l’amiral de France sus une forte montagne en leur pays ; au dessous avoit un pas par où il convenoit passer les Anglois leur cariage et tout l’ost. De celle montagne où l’amiral étoit, et grand’foison de chevalerie de France en sa compagnie, virent-ils tout clairement les Anglois et leur puissance : si les avisèrent au plus justement qu’ils purent, et les nombrèrent à six mille hommes d’armes, et bien, que archers que gros varlets, à soixante mille. Si dirent en eux-mêmes, tout considéré, que ils n’étoient pas assez gens pour eux combattre ; car des Escots ils ne se trouvoient point mille lances et autant de leur côté, et environ trente mille hommes des autres gens et moult mal armés. Si dit l’amiral au comte de Douglas et au comte de Mouret : « Vous avez raison de non vouloir combattre ces Anglois ; mais avisez-vous que vous voudrez faire ; ils sont bien si forts que pour chevaucher parmi votre pays et du tout détruire ; et puisque combattre ne les pouvons, je vous prie que vous me menez, parmi votre pays et parmi chemins non hantés, en Angleterre ; si leur ferons guerre à l’autre part, ainsi comme ils nous la font ici, s’il est ainsi que ce se puist faire. » — « Oil, sire, ce répondirent les barons d’Escosse. »

Messire Jean de Vienne et les barons d’Escosse orent là conseil ensemble que ils guerpiroient leur pays et lairoient les Anglois convenir, et chevaucheroient outre, et entreroient en Galles et iroient devant la cité de Carlion, et trouveroient là assez de bon pays où ils se contrevengeroient. Ce conseil et avis, par l’accord de tous, fut arrêté entre eux. Si se trairent toutes gens d’armes à l’opposite des Anglois et prindrent les forêts et les montagnes ; et ainsi comme ils chevauchoient parmi l’Escosse, eux-mêmes détruisoient leur pays et ardoient villages et manoirs, et faisoient hommes et femmes et enfans et pourvéances retraire ès forêts d’Escosse ; car bien savoient que les Anglois ne les iroient jamais là quérir ; et passèrent tout à travers leurs pays. Et s’en alla le roi, pourtant qu’il n’étoit pas en bon point pour chevaucher, en la Sauvage Escosse, et là se tint toute la guerre durant, et en laissa ses gens convenir. Si passèrent les François et les Escots les montagnes qui sont à l’encontre du pays de Northonbrelande et d’Escosse, et entrèrent en la terre de Galles[1], et commencèrent à ardoir le pays et les villages, et à faire moult de desrois en la terre de Montbray qui est au comte de Nottinghen et en la comté de Staffort et en la terre du baron de Griscop et du seigneur de Moussegrave, et prindrent leur chemin par terres et pays pour venir devant la cité de Carlion.

Entrementes que l’amiral de France, et ceux qui en sa compagnie étoient, le comte de Grant-Pré, le sire de Vodenay, le sire de Sainte-Croix, messire Geoffroy de Chargny, messire Guillaume de Vienne, messire Jacques de Vienne seigneur d’Espaigny, le sire de Haez, le sire de Moreuil, messire Waleran de Raineval, le sire de Beausault, le sire de Waurin, messire Perceval d’Ayneval, le baron d’Ivry, le baron de Fontaines, le sire de Rivery, messire Bracques de Bracquemont, le seigneur de Landury et bien mille lances de barons, de chevaliers et d’écuyers de France et les seigneurs d’Escosse et leurs gens ardoient et chevauchoient en Northonbrelande entre ces montagnes, et alloient ardant et exillant villes, manoirs et pays sur les frontières de Galles. Aussi étoient le roi d’Angleterre et ses oncles et les barons et chevaliers d’Angleterre et leurs routes entrés en Escosse, et ardoient et pilloient d’autre part ; et s’en vinrent le rois et les Anglois loger a Haindebourch, la souveraine cité d’Escosse, et là fut le roi cinq jours. À son département elle fut toute arse que rien n’y demeura[2] ; mais le chastel n’ot garde, car il est bel et fort, et si étoit bien gardé. En ce séjour que le roi Richard fit en Haindebourch les Anglois coururent tout le pays d’environ et y firent moult de desrois ; mais nullui n’y trouvèrent ; car tout avoient retrait ens ès forts et ens ès grands bois, et là chassé tout leur bétail.

En l’ost du roi d’Angleterre avoit plus de

  1. Galles et Carlion sont là pour Galloway et Carlisle.
  2. Waiter Bower, dans la continuation du Scoti-Chronicon de Jean de Fordun, dit que l’église de Saint-Gilles d’Édimbourg fut consumée par cet incendie.