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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

roi son fils, Damp Jean de Castille, étoit trop puissant roi pour eux contraindre et châtier, si rebellion avoit en Portingal après sa mort ; et que nulle conscience il n’avoit de lui faire mourir ni emprisonner, car son frère étoit homme de religion, et avoit bien sa chevance et grandement, sans penser à la couronne de Portingal. Et pour ce étoit-il demeuré en vie.

À parler par raison et considérer tous les articles et points dessus dits, qui sont tous véritables, car moi, auteur, en ai été suffisamment informé par les nobles du royaume de Portingal, ce sont bien choses à émerveiller de prendre et faire un bâtard roi ; mais ils n’y trouvoient nul plus prochain. Et disoient les Portingalois, et encore disent, que la roine de Castille, madame Bietris, fille à madame Alienor de Coingne, est bâtarde et plus que bâtarde par les conditions dessus dites, ni que jà ne sera roine de Portingal, ni hoir qui descende de li. Et celle opinion mit bien avant le comte de Foix à ses gens, quand il les ot mandés à Ortais, et il leur donna à dîner, et ils prindrent congé à lui, car de toutes ces besognes de Portingal et de Castille il étoit suffisamment informé. Et leur avoit dit : « Seigneurs, demeurez ; vous ne vous avez que faire d’embesogner de la guerre de Castille et de Portingal. Car sachez par vérité, que le roi de Portingal ni la roine de Castille, qui fut fille du roi Ferrant de Portingal, n’ont nul droit à la couronne de Portingal ; et est une guerre commencée par estourdie et ennemie chose ; si vous en pourroit bien mésavenir, et ceux qui s’en embesogneront. » Ses gens avoient répondu que, puisqu’ils avoient reçu et pris l’argent d’un autel seigneur comme le roi Jean de Castille, ils l’iroient servir et desservir. Le comte de Foix les laissa atant ester ; mais tous ou partie y demeurèrent, si comme vous avez dessus ouï.

Or retournons aux besognes de Portingal ; car elles ne font pas à laisser, pour les grands faits d’armes et entreprises qui en sont issus, et pour historier et croniser toutes choses advenues, afin que au temps à venir on les trouve escriptes et enregistrées ; car, si elles mouroient, ce seroit dommage. Et par les clercs qui anciennement ont escript et enregistré les histoires et les livres, les choses sont sçues, car il n’est si grand ni si beau mémoire comme est d’escripture. Et véritablement je vous dis, et veuil bien que ceux qui viendront après moi sachent que, pour savoir la vérité de celle histoire et enquerre justement de tout, en mon temps j’en os beaucoup de peine, et cerchai moult de pays et de royaumes pour le savoir ; et en mon temps congnus moult de vaillans hommes, et vis en ma présence, tant de France comme d’Angleterre, d’Escosse, de Castille et de Portingal et des autres terres, duchés et comtés, qui se sont conjoints, eux et leurs gens, en ces guerres, auxquels j’en parlai et par lesquels je m’informai, et volontiers. Ni aucunement je n’eusse point passé une enquête faite de quelque pays que ce fût, sans ce que je eusse, depuis l’enquête faite, bien sçu que elle eût été véritable et notable. Et pourtant que, quand je fus en Berne devers le gentil comte Gaston de Foix, je fus informé de plusieurs besognes, lesquelles étoient advenues entre Castille et Portingal, et je fus retourné au pays de ma nation, en la comté de Hainaut et en la ville de Valenciennes, et je m’y fus rafreschi un terme, et plaisance me prit à ouvrer et à poursuivire l’histoire que je avois commencée, je me advisai par imagination que justement ne le pouvois pas faire, par avoir singulièrement les parties de ceux qui tiennent et soutiennent l’opinion du roi de Castille ; et me convenoit donc, si justement voulois ouvrer, ouïr autant bien parler les Portingalois, comme je avois fait les Gascons et Espaignols, en l’hôtel de Foix et sur le chemin allant et retournant. Si ne ressoignai pas la peine ni le travail de mon corps, mais m’en vins à Bruges en Flandre pour trouver les Portingalois et Lussebonnois, car toujours en y a grand’planté. Or, regardez comment je fis, si c’est de bonne aventure : il me fut dit, et je le trouvai bien en voir, que si je y eusse visé sept ans, je ne pouvois mieux venir à point à Bruges que je fis lors ; car on me dit, si je voulois aller à Melles-de-Bourch en Zélande, je trouverois là un chevalier de Portingal, vaillant et sage homme, et du conseil du roi de Portingal, qui nouvellement étoit là arrivé ; et par vaillance il vouloit aller, et tout par mer, en Prusse. Cil me diroit et parleroit justement des besognes de Portingal, car il avoit été à toutes et par toutes. Ces nouvelles me réjouirent ; et me partis de Bruges, avec un Portingalois en ma compagnie qui connoissoit bien le chevalier ; et ni en vins à l’Escluse ; et là montai en