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LIVRE III.

leur en avoit bien dites aucunes, mais ils n’y ajoutoient point de foi, pourtant que le roi ni nul du pays ne leur avoit point envoyé par lettres. Si entrèrent le grand-maître de Saint-Jacques et Laurentien Fougasse en la chambre du duc de Lancastre, où là étoit la duchesse ; et pour ce que Laurentien savoit bien parler françois, il parla tout premièrement. Et quand il ot fait la révérence au duc et à la duchesse, il bailla au duc les lettres qui venoient de Portingal. Le duc les prit, et bailla à la duchesse celles qui appartenoient à li : si les lisirent chacun et puis les recloirent. Si dit le duc aux messages : « Vous nous soyez en ce pays les bien-venus ; nous irons demain devers le roi et vous ferons toute adresse, car c’est raison. » Adonc trait la duchesse Laurentien à part et lui demanda des nouvelles de Castille et de Portingal et comment on s’y demenoit. Selon ce que la dame parla, Laurentien répandit bien et à point. Adonc fit le duc venir vin et épices ; si burent et prirent congé, et puis retournèrent ce soir à leur hostel.

À lendemain, à heure de prime, tous deux s’en allèrent devers le duc, et le trouvèrent que il avoit ouï sa messe : si entrèrent en une barge et allèrent par la Tamise à Wesmoustier, où le roi étoit, et la greigneur partie du conseil d’Angleterre. Le duc de Lancastre les fit entrer en la chambre du conseil et dit au roi : « Monseigneur, vez-ci le grand-maître de Saint-Jacques de Portingal et un escuyer du roi de Portingal qui vous apportent lettres ; si les voyez. » — « Volontiers, » dit le roi. Adonc s’agenouillèrent devant le roi les deux messages dessus nommés, et Laurentien Fougasse lui bailla les lettres. Le roi les prit, et fit lever ceux qui à genoux étoient, et ouvrit les lettres et les lisit. Aussi baillèrent-ils lettres au comte de Cantebruge et au comte de Bouquinghen. Chacun lust les siennes. Le roi répondit aux messagers moult doucement et leur dit : « Vous soyez les bien-venus en ce pays ; votre venue nous fait grand’joie, et vous ne vous partirez pas si très tôt ni sans réponse qui vous plaira ; et toutes vos besognes recommandez-les à beaux oncles ; ils en soigneront et auront en mémoire. » Ils répondirent, en eux agenouillant et remerciant le roi : « Très cher sire, volontiers. »

Donc se départirent-ils de la chambre de parement et du conseil, et s’en allèrent ébattre parmi le pays en attendant le duc de Lancastre qui demeura jusques à haute nonne. Le parlement fait, le duc de Lancastre emmena avecques lui ses deux frères dîner à son hostel et tous y allèrent en leurs barges par la Tamise.

Le comte de Cantebruge connoissoit assez le grand-maître de Saint-Jacques et Laurentien Fougasse, car il les avoit vus au temps passé en Portingal, pourquoi, à l’hostel du duc, après dîner, il les mit en parole de plusieurs choses, présens ses deux frères, et leur demanda du mariage de Castille et de celle qui devoit être sa fille, madame Biétris, comment il en étoit. À toutes ses paroles répondirent les ambassadeurs sagement et vraiment, tant que les seigneurs s’en contentèrent très grandement.

Voir est que, avant que le grand-maître de Saint-Jacques de Portingal et Laurentien Fougasse fussent venus ni arrivés en Angleterre en ambassaderie, si comme vous pouvez ouïr, le duc de Lancastre et le comte de Cantebruge son frère, pour le fait du royaume de Castille dont ils se tenoient héritiers par la condition et droit de leurs femmes, avoient eu entre eux deux ensemble plusieurs consaulx et parlemens de leurs besognes. Car le comte de Cantebruge, si comme il est ici dessus contenu en celle histoire, s’étoit petitement contenté du roi Ferrant de Portingal et des Portingalois ; car ils avoient logé aux champs quinze jours tout entiers devant les Castelloings, et point ne les avoient le roi Ferrant ni son conseil voulu combattre. Si leur avoit bien dit et montré le comte leur défaut et leur avoit dit : « J’ai en ma compagnie de purs Anglois environ cinq cens lances et mille archers. Sachez, sire roi, et vous barons de Portingal, que nous sommes tous conjoins ensemble de bonne volonté pour combattre nos ennemis et attendre l’aventure telle que Dieu la nous voudra envoyer. » Mais le roi Ferrant dit que il ni ses gens n’avoient point conseil de combattre : pourquoi, quand le comte vit ce, il se partit et emmena Jean son fils hors du royaume de Portingal[1], et quand il fut retourné en Angleterre, cil roi de Portingal s’accorda au roi Jean de Castille et maria sa fille à lui par paix faisant ; et ce traité fit messire

  1. Au mois d’octobre 1382.