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LIVRE III.

les fichu en terre de-lez lui, et tenoit un pic de fer dont il ouvroit à pouvoir pour dérompre et abattre le mur.

On se doit et peut émerveiller comment les vilains de Ville-Lopez ne s’esbahissoient, quand ainsi de toutes parts assaillis ils se véoient. Finablement ils n’eussent point eu de durée, car là avoit trop de vaillans hommes qui tout mettoient main à œuvre, mais ils s’avisèrent, quand ils virent le fort et que l’assaut ne cessoit point, que ils se rendroient. Là vint le baillif de la ville qui les avoit tenus en tel état et fait combattre ; car la ville lui étoit recommandée à bien garder de par le roi. Et dit au maréchal, car il demanda bien lequel c’étoit : « Monseigneur, faites cesser vos gens, car les hommes de celle ville veulent traiter à vous. » Le maréchal dit : « Volontiers. » Il fit tantôt chevaucher un héraut autour de la ville sur les fossés, lequel disoit à tout homme : « Cessez, cessez, tant que vous orrez la trompette du maréchal sonner à l’assaut, car on est en traité à ceux de la ville. »

À la parole du héraut se cessèrent les assaillans et se reposèrent ; bien en avoient mestier les aucuns, car ils étoient foulés et lassés de fort assaillir. On entra en traité à ceux de Ville-Lopez ; car ils dirent que ils se rendroient volontiers, sauves leurs corps et leurs biens, ainsi que ceux des autres villes de Galice ont fait. « Voire ? dit le maréchal : vous n’en aurez pas si bon marché que les autres ont eu ; car vous nous avez donné trop de peine et blessé nos gens, et si véez tout clairement que vous ne vous pouvez longuement tenir. Si faut que vous achetiez la paix et l’amour de nous, ou nous rentrerons en l’assaut et vous gagnerons de force. » — « Et de quelle chose, dit le bailli, voulez-vous que nous soyons rançonnés ? » — « En nom Dieu ! dit le maréchal, de dix mille francs. » — « Vous demandez trop, dit le bailli, je vous en ferai avoir deux mille ; car la ville est povre et a été souvent taillée du roi. » — « Nennil, nennil, dit le maréchal ; je vous donne loisir de conseil. Parlez ensemble ; mais pour trois ni quatre mille ne passerez-vous point, car tout est nôtre ; et jà suis-je blâmé des compagnons de ce que j’entends à nul traité envers vous : délivrez-vous du faire ou du laisser. » Adonc se départit le bailli de là et vint en la place, et appela tous les hommes de la ville et leur dit : « Quelle chose voulez-vous faire ? Si nous nous faisons plus assaillir, les Anglois nous conquerront de force ; si serons tous morts et le nôtre pris. Nous n’y aurons rien. On nous demande dix mille francs ; j’en ai offert deux mille ; je sais bien que c’est trop peu, ils ne le feroient jamais ; il nous faut encore hausser la finance de deux ou de trois mille. » Donc répondirent les Juifs, qui doutoient tout à perdre corps et avoir : « Bailli, ne laissez mie à marchander à eux, car entre nous, avant que nous soyons plus assaillis, nous en payerons quatre mille. » — « C’est bien, répondit le bailli, je traiterai donc encore à eux. »

À ces mots il s’en vint là où le maréchal l’attendoit, et entra en traité ; et fut la paix faite parmi six mille francs. Mais ils avoient terme de payer quatre mois. Adonc furent les portes ouvertes, et entrèrent toutes manières de gens dedans ; et se logèrent là où ils purent, et s’y rafreschirent deux jours ; et donna le maréchal la ville en garnison à Yon Fits-Varin, qui s’y logea atout deux cents lances et quatre cents archers ; et la tint plus de huit mois ; mais l’argent de la rédemption vint an profit du duc de Lancastre. Le maréchal en ot mille francs.

Après ce que la ville de Ville-Lopez se fût rendue à messire Thomas Moreaux, maréchal de l’ost, par l’ordonnance et manière que vous avez ouïes, s’en retourna-t-il à Saint-Jacques, et là se tint ; c’étoit son principal logis, car le duc le vouloit avoir de-lez lui. À la fois il chevauchoit sus les frontières de Castille pour donner cremeur aux François. Mais pour ce temps les Anglois tenoient les champs en Galice, ni nul ne se mettoit contre eux, car le roi de Castille étoit conseillé de non chevaucher à ost, mais à guerroyer par garnisons, et aussi d’attendre le secours qui devoit venir de France. Or fut le duc de Lancastre conseillé en disant ainsi : « Monseigneur, ce seroit bon que vous et le roi de Portingal vous vissiez ensemble et parlissiez de vos besognes. Il vous escript, vous lui escripsez ; ce n’est pas assez ; car sachez que ces François sont subtils et voyent trop clair en leurs besognes, trop plus que nuls autres gens. Si couvertement ils faisoient traiter à ce roi de Portingal, que ses bonnes villes ont couronné, le roi de Castille, lequel a encore de-lez lui et en son conseil grand’foison de barons et chevaliers de Portingal, si comme nous sommes informés, et fissent une paix à lui, fût par