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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/558

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et manière à ceux de la ville ; si leur dit : « Entre vous, gens de l’Escluse, comment vous maintenez-vous ? À ce que vous montrez, vous êtes tous déconfits et sans coup férir. Gens de valeur et de défense ne doivent pas ainsi faire. Ils doivent montrer visage tant comme ils peuvent durer. À tout le moins, si ils sont morts ou pris, en ont-ils la grâce de Dieu et la louange du monde. » Ainsi disoit messire Robert quand il vint à l’Escluse.

Endementres que les Anglois se tenoient et gisoient devant l’Escluse, étoit le pays jusques à Bruges moult effrayé, car ils issoient hors tous les jours, et venoient courir et fourrer bien avant ; et tout de pied, car ils n’avoient nuls chevaux. Et quand ils avoient fait leur emprise, ils s’en retournoient à leur navie, et là rentroient, et toutes les nuits ils y dormoient ; et à lendemain à l’aventure ils s’en r’alloient, et nullui ne leur alloit au-devant. Et autre tant bien comme ils s’alloient aventurer sus les parties du soleil couchant, se mettoient-ils hors à terre quand il leur plaisoit sus les parties de soleil levant. Et vinrent fourrer et puis ardoir la ville de Kokesie, sur les dunes de la mer et un autre gros village au chemin de Ardembourch et de la mer que on dit Hosebrouc. Et faisoient ce que ils vouloient, et eussent encore plus fait si ils voulsissent et si ils eussent sçu le convenant et l’ordonnance du pays, car si étoit tout vuis de gens d’armes. Et quand ils eurent séjourné tant comme bon leur fut, et que nul ne se mit au-devant d’eux pour rescourre chose que ils eussent prise ni levée au pays ni en la mer, et ils eurent bon vent, ils se départirent de l’ancre ; et levèrent les voiles et s’en retournèrent vers Angleterre atout deux cent mille francs de profit pour eux, que en une manière que en autre ; et singlèrent tant que ils vinrent à l’entrée de la Tamise, et là passèrent tout contremont jusques à Londres, où ils furent reçus à grand’joie, car les bons vins de Xaintonge, que on cuidoit boire en celle saison en Flandre, en Brabant, en Hainaut, en Liége et en plusieurs lieux en Picardie, ils les avoient en leur compagnie ; si furent vendus et départis à Londres et en plusieurs lieux en Angleterre. Et firent ces vins là ravaller les vins quatre deniers esterlins au galon. Et furent ceux de Londres, et plusieurs Anglois qui hantoient les frontières de Flandre de Hollande, de Zélande trop grandement lies de la prise messire Jean Bucq, car il leur avoit porté plusieurs fois trop de contraires sur mer en allant à Dourdrech, à Zereciel, à Lede, Medelebourch et à la Brielle en Hollande. Et vous dis que aucuns marchands de Zereciel en Zélande avoient des vins en celle flotte qui venoient de la Rochelle, lesquels leur furent tous rendus et délivrés, et leurs dommages restitués. Et bien y avoit cause que les Anglois leur fussent courtois, car oncques ceux de Zereciel ne se vouldrent aconvenancer aux François pour aller en Angleterre ; et leur dirent bien que jà nefs ni barges de Zereciel n’y mettroient la voile ni gouvernail. Pourquoi ils enchéoient grandement en la grâce et amour des Anglois. Si fut messire Jean Bucq mis en prison courtoise à Londres. Il pouvoit aller et venir parmi la ville, mais dedans soleil couchant il convenoit que il fût à l’hôtel, ni oncques depuis on ne le voult mettre à finance. Si en ot le duc de Bourgogne volontiers par échange rendu le frère du roi Jean de Portingal, un bâtard que ceux de Brenoliet prirent sur la mer en venant à Meledebourch ; mais ils le prirent sur leur puissance, car sus les mettes de Zélande, ils ne l’eussent point pris. Et me semble que messire Jean Buch fut emprisonné courtoisement à Londres, en Angleterre environ trois ans, et puis mourut.

CHAPITRE LV.

Comment le maréchal du duc de Lancastre prit la ville de Ribedave, qui moult fort étoit tenue.


Or est heure que nous retournons aux besognes de Castille et de Portingal, et que nous parlions du duc de Lancastre qui se tenoit en Galice, et des besognes qui y advinrent en celle saison, qui ne furent pas petites, et que nous recordons aussi quel confort le roi de France fit et envoya en Castille ; car sans ce les besognes du roi Jean de Castille se fussent petitement portées. Je veuil bien que on sache que il eût perdu, en celle année que le duc arriva à la Coloingne, tout son pays entièrement, si il n’eût été conforté des nobles du royaume de France qui y furent envoyés du noble roi de France.

Vous savez que nouvelles sont tantôt loin épandues. Le roi de Portingal sçut aussitôt les nouvelles ou plus tôt du roi de France et de