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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

voir à Bristo, et ens ès chasses qu’il faisoit sur le pays, à sa cordelle et opinion ; et bien le souffroit et consentoit le roi à faire. En ce séjour que le roi d’Angleterre fit à Bristo et sur la rivière de Saverne, et en la marche de Galles, eut le duc d’Irlande moult de soin et de peine de chevaucher et d’aller de l’un à l’autre, et par espécial en la terre de Galles ; et remontroit et disoit à tous ceux qui entendre le vouloient, fussent gentils-hommes ou autres, que les oncles du roi, pour venir à la souveraineté et seigneurie de la couronne d’Angleterre, avoient ôté et mis hors du conseil les vaillans hommes du conseil du roi ; tels que l’archevêque d’Yorch, l’évêque de Durem, l’évêque d’Ély, l’évêque de Londres, messire Michel de la Pole, messire Nicolas Brambre, messire Jean Sallebery, messire Robert Tresilien, messire Jean Beauchamp, et lui-même ; et avoient fait mourir et décoler, sans nul titre de raison, un sage chevalier, messire Simon Burlé, et que, s’ils se multiplioient en l’état où ils régnoient, ils détruiroient toute Angleterre.

Tant fit et tant procura celui duc d’Irlande, et tant prêcha au peuple et aux chevaliers et écuyers de la terre de Galles et des contrées voisines, que la greigneur partie le créoient. Et vinrent un jour devers le roi à Bristo ; et lui demandèrent, en général, si c’étoit la parole du roi que le duc d’Irlande mettoit avant. Le roi leur répondit que oui ; et leur prioit et enjoignoit, en tant qu’ils le pouvoient aimer, qu’ils le voulsissent croire ; car il avouoit tout ce qu’il feroit et feroient. Et disoit que voirement ses oncles étoient durs et hautains ; et se doutoit grandement d’eux, qu’ils ne le voulsissent surmonter, et tollir son royaume.

Ceux de la terre de Galles qui toujours outre mesure avoient aimé le prince de Galles, le père du roi, et qui en sus ignorans étoient de toutes vérités et nouvelles qui étoient avenues en la marche de Londres, tenoient fortement que le roi, leur sire, et le duc d’Irlande eussent juste querelle ; et demandèrent une fois au roi ; quelle chose il en vouloit faire. Le roi répondit qu’il voudroit volontiers que les Londriens, qui très grand’coulpe avoient à ces affaires, fussent corrigés et mis à raison, et ses oncles aussi. Ceux de Galles répondirent qu’ils étoient tenus d’obéir au roi et à son commandement ; et que souverainement ils connoissoient bien qu’à lui devoient-ils foi et obéissance, et non à autre, car il étoit leur roi et leur sire. Si iroient partout, là où il les voudroit envoyer. Le roi de celle réponse leur sçut très grand gré ; et aussi fit le duc d’Irlande.

Quand le duc d’Irlande vit que le roi vouloit montrer que la besogne étoit sienne, et qu’il étoit en bonne volonté de détruire ses adversaires et mettre à raison, si en eut grand’joie. Et dit à ceux de son conseil qu’il ne pouvoit faire meilleur exploit que de retourner à Londres, et montrer puissance, et tant faire, par belles paroles ou autrement, que les Londriens fussent de son accord et obéissance, et faire ce que le roi voudroit faire et non autrement. Et disoit ainsi et informoit le roi, que c’étoit toute perte pour un royaume, quand il y avoit tant de chefs et de gouverneurs, et que nul bien n’en pouvoit venir ni naître.

Le roi lui répondit qu’il disoit vérité, et que, s’il l’avoit souffert, il ne le souffriroit plus ; mais y mettroit tel remède, que tous autres pays y prendroient exemple.

Or regardez et imaginez en vous-mêmes, si j’ai eu bien cause de dire et traiter que le royaume d’Angleterre en celle saison fût en grand’péril et aventure que d’être tout perdu sans recouvrer. Certes oui, par les raisons que vous avez ouïes. Car le roi étoit ému contre ses oncles et contre les plus hauts de toute Angleterre ; et eux encontre le roi et grand’foison de nobles qui étoient de sa partie ; et les cités et bonnes villes l’une contre l’autre ; et les prélats en grand’indignation l’un vers l’autre ; et n’étoit nul qui remédier y pût, fors Dieu proprement.

Le duc d’Irlande, quand il vit qu’il avoit l’accord agréable du roi, et de la greigneur partie de ceux des contrées de Bristo et de Galles, si s’avança de dire au roi et dit : « Monseigneur, si vous me voulez instituer et faire votre gonfanonier, j’emmènerai douze ou quinze mille hommes avecques moi, en la marche de Londres ou d’Asquesufforch, votre cité et la mienne : et montrerai puissance contre les Londriens et vos oncles qui si vous ont abaissé qu’ils vous ont ôté et mort votre conseil ; et les mettrai, ou bellement ou de force, à raison. » — « Oui, répondit le roi je le vueil : et vous