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BIOGRAPHIE

ment le comte de Saint-Pol étoit passé outre en Angleterre pour voir le roi Richard son serourge, et pour confirmer la trêve qui étoit donnée trois ans. « Mais il sera ici, comment que ce soit, à notre fête. »

Je demandai au dit messire Guillaume de Melun quels seigneurs d’Escosse avoient été à ce parlement, et le demandois pourtant que en ma jeunesse je fus en Écosse, et cherchai tout le royaume d’Écosse jusques à la sauvage Écosse ; et eus en ce temps que je y fus et demeurai en la cour du roi David d’Escosse, la connoissance de la greigneur partie des barons et chevaliers. Il me répondit et dit : « L’évêque de Bredanne y a été, messire Jakemes et messire David de Lindesée, et messire Gautier de Saint-Clar. » Je mis tout en retenance et puis entendis à écrire et registrer tout ce que je vis et ouïs dire de vérité que avenu étoit à la fête, à l’entrée et venue à Paris de la roine Isabel de France, dont l’ordonnance ainsi s’ensuit.

(T. iii, p. 2 et 3.)


1389. — Il assista à l’entrée d’Isabeau de Bavière à Paris, et composa même une ballade à ce sujet. Elle se termine ainsi, en rappelant sa chronique.

Princes, pour faire ent convenance
J’ai bien mis ailleurs la substance ;
Et pour l’amour des fleurs de lys
Comment la royne de France
Est la première entrée à Paris.


Il revoit et continue son histoire en 1390.

Mais les grands seigneurs terriens de qui le bien de commencement vient à l’Église n’en fesoient encore que rire et jouer, au temps que escripsis et chroniquai ces chroniques, l’an de grâce mil trois cent quatre vingt dix.

(T. ii, p. 458.)


Dans la même année 1390, il va en Anjou.

On me pourroit demander, qui voudroit, dont telles choses me viennent à savoir, pour en parler si proprement et si vivement. J’en répondrois à ceux qui m’en demanderoient : que grand’eure et grand’diligence je mis en mon temps pour le savoir, et encerchai maint royaume et maint pays, pour faire juste enquête de toutes les choses qui ci-dessus sont contenues en celle histoire, et qui aussi en suivant en descendront ; car Dieu me donna la grâce et le loisir de voir en mon temps la greigneur partie et d’avoir la connoissance des hauts princes et seigneurs, tant en France comme en Angleterre. Car sachez que, sus l’an de grâce mil trois cent quatre vingt et dix, je y avois labouré trente-sept ans, et à ce jour je avois d’âge cinquante-sept ans. Au terme de trente sept ans, quand un homme est dans sa force et en son venir, et il est bien de toutes parties, car de ma jeunesse je fus cinq ans de l’hôtel au roi d’Angleterre et de la roine, et si fus bien de l’hôtel du roi Jean de France et du roi Charles son fils, si pus bien sus ce terme apprendre et concevoir moult de choses. Et pour certain, c’étoit la greigneur imagination et plaisance que je avois, que toujours enquérir avant et de retenir, et tantôt escripre comment j’en avois fait les enquêtes. Et comment je fus adonc informé, et par qui, de la prise du connétable et de ce qui en descendit, je le vous dirai.

Je chevauchois, en ce temps que les choses furent advenues, ou un an après, de la cité d’Angers à Tours en Touraine ; et avois geu à Beaufort en Vallée. À lendemain, d’aventure je trouvai au-dehors le Mont-le-Herne un chevalier de Bretagne et d’amont, lequel s’appeloit messire Guillaume d’Ancenis, et s’en alloit voir la dame de Mailly en Touraine, sa cousine, et ses enfans, car elle étoit nouvellement vefve. Je m’acointai du chevalier, car je le trouvai courtois et doux en ses paroles. Je lui demandai des nouvelles, et par espécial de la prise du connétable, dont je tendois fort à savoir la vérité. Il la me dit, car il disoit que il avoit été à Vannes au parlement qui y fut, avec le seigneur d’Ancenis, un sien cousin et un grand baron de Bretagne. Et tout ainsi comme Espaing du Lion me dit et informa des choses dessus dites qui étoient advenues en Foix, en Béarn et en Gascogne, et aussi messire Jean Percek des avenues de Portingal et de Castille, me conta plusieurs choses le gentil chevalier ; et plus m’en eût conté si je eusse longuement chevauché en sa compagnie.

Entre Mont-le-Herne et Prilly, a quatre grandes lieues, et nous chevauchions bellement à l’aise des chevaux. Et là, sus ce chemin, il me conta moult de choses, lesquelles je mis bien en remembrance et par espécial des avenues de Bretagne. Et ainsi que nous chevauchions et que nous étions près de Prilly à une lieue, nous entrâmes en un pré. Là s’arrêta-t-il et dit : « Ha !