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DE MESSIRE JEAN FROISSART.

Cil m’acointa et me informa de toutes les besognes advenues entre le royaume de Castille et le royaume de Portingal, depuis la mort du roi Ferrant jusques au jour qu’il étoit issu hors du dit royaume ; et si doucement et si arréement le me contoit, et tant volontiers, que je prenois grand plaisance à l’ouïr et à l’escripre. Et quand je fus informé de tout ce que je voulois savoir, et vent fut tenu, il prit congé à moi et entra en une carraque, grande et forte assez pour aller par mer par tout le monde, et pris congé à lui dedans le vaissel. Aussi firent plusieurs riches marchands de son pays qui l’étoient venu voir de Bruges, et les bonnes gens de Melles-de-Bourch. Or retournai depuis à Bruges et en mon pays : si ouvrai sur les paroles et relations faites du gentil chevalier, messire Jean Ferrant Perceck, et chroniquai tout ce que de Portingal et de Castilie est advenu jusques à l’an de grâce mil trois cent quatre vingt et dix.

(T. ii, p. 462.)


À son retour à Paris, en 1389, il va visiter la Flandre et revient à Paris.

Or considérez entre vous qui le lisez, ou le lirez, ou avez lu, ou orrez lire, comment je puis avoir sçu ni rassemblé tant de faits desquels je traite et propose en tant de parties. Et pour vous informer de la vérité, je le commençai jeune dès l’âge de vingt ans ; et si, suis venu au monde avec les faits et les avenues ; et si, y ai toujours pris grand’plaisance plus que à autre chose ; … et, partout où je venois je faisois enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avoient été en faits d’armes, et qui proprement en savoient parler, et aussi à aucuns hérauts de crédence pour vérifier et justifier toutes matières. Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière, et le gentil comte de Blois dessus nommé y a rendu grand’peine ; et tant comme je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car comme plus y suis et plus y laboure et plus me plaît ; car ainsi comme le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes et en persévérant et continuant il s’y nourrit et parfait, ainsi en labourant et ouvrant sur cette matière je m’habilite et délite.

Vous devez savoir que quand je, auteur de celle histoire, fus issu de l’hôtel le noble Gaston de Foix et retourné en Auvergne et en France, en la compaignie et roulte du gentil seigneur de la Rivière et de messire Guillaume de la Trémoille, lesquels avoient amené la duchesse de Berry, madame Jeanne de Boulogne, de-lez le duc Jean de Berry son mari, qui épousé l’avoit en la ville de Riom en Auvergne, car à toutes ces choses je fus, si en puis bien parler, et je fus venu à Paris, je trouvai le gentil seigneur de Coucy, un de mes seigneurs et maîtres, qui nouvellement s’étoit marié à une jeune dame, fille au seigneur et duc de Lorraine. Lequel sire de Coucy me fit très bonne chère et me demanda des nouvelles de Foix, de Berne et du pape Clément d’Avignon, et de ce mariage de Berry et de Boulogne, et de un sien grand ami, un mien seigneur et maître aussi, le comte Béraud, Dauphin d’Auvergne. À toutes ces demandes je répondis de ce que je savois et que j’avois vu, et tant qu’il m’en sçut gré et me dit : « Vous en viendrez avec moi. Je m’en vais en Cambrésis en un chastel que le roi m’a donné, que on appelle Crève-cœur. C’est à deux lieues de Cambray et à neuf lieues de Valenciennes. » — « Monseigneur, dis-je, vous dites vérité. » Je me mis en sa roulte et compaignie, et sur le chemin il me conta ce que vous dirai........

(T. iii, p. 1 et 2.)


Ainsi chevauchant nous vînmes à Crèvecœur ; et là fus de-lez lui trois jours, tant que je fus reposé et rafreschi, et puis pris congé et vins à Valenciennes, et là fus quinze jours ; et puis m’en partis et m’en allai en Hollande voir mon gentil maître et seigneur, le comte de Blois ; et le trouvai à Esconnehove, et me fit très bonne chère, et me demanda des nouvelles. Je lui en dis assez de celles que je savois. Et fus de-lez lui un mois, que là que à la Gode ; et puis pris congé pour retourner en France et pour savoir la vérité de ce parlement qui se tenoit à Lolinghen des François et des Anglois, et aussi pour être à une très noble fête qui devoit être en la ville de Paris à la première entrée de la roine Isabel de France, qui encore n’y avoit point entré. Pour savoir le fond de toutes ces choses, je m’en retournai parmi Brabant ; et fis tant que je me trouvai à Paris huit jours avant que la fête se tînt ni fît, tant eus-je de pourvéances des seigneurs de France et d’Escosse qui étoient venus au parlement. Si m’acointa de messire Guillaume de Melun qui m’en dit toute l’ordonnance, et com-