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BIOGRAPHIE

mandai des merveilles et nouvelles dont on raconte et dit qu’on y voit, si rien en étoit. Il répondit et me dit : « Quand moi et mon compagnon eûmes passé la porte du cellier, que on appelle le Purgatoire Saint-Patris, et nous fûmes descendus trois ou quatre pas, car on y descend ainsi que à un cellier, chaleur nous prit en les têtes ; et nous assîmes sur les pas qui sont de pierre ; et nous assis, très grand’volonté nous vint de dormir, et dormîmes toute la nuit. » Donc lui demandai si, en dormant, ils savoient où ils étoient et quelles visions leur vinrent. Il me répondit et dit : que en dormant ils entrèrent en imaginations moult grandes et en songes merveilleux ; et véoient, ce leur sembloit, en dormant, trop plus de choses qu’ils n’eussent fait en leurs chambres sur leurs lits. Tout ce affirmoit-il bien. « Et quand au matin nous fûmes éveillés on ouvrit l’huis, car ainsi l’avions-nous ordonné, et issîmes hors ; et ne nous souvint tantôt de chose nulle que nous eussions vu ; et tenons tout ce à fantôme. »

De cette matière je ne lui parlai plus avant, et m’en cessai, car volontiers je lui eusse demandé du voyage d’Irlande et lui voulois parler et mettre à voie ; mais routes d’autres chevaliers vinrent qui parlèrent à lui, et je laissai mon propos ; et chevauchâmes jusques à Ledes ; et là vint le roi et toute sa route, et là trouvai monseigneur Aimond, duc d’Yorch. Si m’acointai de lui, et lui baillai les lettres du comte de Hainaut, son cousin, et du duc d’Ostrevant. Le duc me reconnut assez et me fit très bonne chère et me dit : « Messire Jean, tenez-vous toujours de-lez nous et nos gens, nous vous ferons toute amour et courtoisie. Nous y sommes tenus pour la cause du temps passé, et de notre dame de mère à qui vous fûtes. Nous en avons bien la souvenance. » Je le remerciai de ces paroles ; ce fut raison. Si fus avancé, tant de par lui que par messire Thomas de Percy et messire Guillaume de l’Île, et fus mis en la chambre du roi, et représenté à lui de par son oncle le duc d’Yorch ; lequel roi me reçut joyeusement et doucement ; et prit toutes les lettres que je lui baillai, et les ouvrit et legit à grand loisir ; et me dit, quand il les eut lues, que je fusse le bien-venu, et si j’avois été de l’hôtel du roi son ayeul et de madame son ayeule, encore étois-je de l’hôtel du roi d’Angleterre.

Pour ce jour je ne lui montrai pas le livre que apporté lui avois, car messire Thomas de Percy me dit que point n’étoit heure, car il étoit trop occupé de grandes besognes ; … et pour avoir conseil de ces deux choses, qui assez grandes étoient, le roi d’Angleterre avoit mandé tous ses plus espéciaux prélats et barons d’Angleterre à être le jour de la Magdelaine en un sien manoir et lieu royal, que on dit Eltem, à sept lieues anglesches de Londres et aussi de Dardeforde. Et le quatrième jour après que je fus là venu, le roi et tout son conseil, et le duc Aimond, son oncle, en sa compagnie, se départirent du chastel de Ledes, et chevauchèrent devers la cité de Rochestre pour venir à Eltem. Je me mis en leur compagnie.

En chevauchant ce chemin, je demandai à messire Guillaume de l’Île et à messire Jean de Grailly, capitaine de Bouteville, la cause pourquoi le roi venoit devers Londres et assembloit son parlement, et avoit assigné à être au jour dessus nommé à Eltem : ils le me dirent ; et par espécial messire Jean de Grailly me recorda pleinement pourquoi ces seigneurs de Gascogne étoient là venus, et les consaux des cités et bonnes villes. Si en fus informé par le dit chevalier qui bien en savoit la vérité, car il avoit souvent parolé à eux, pourtant que ils se connoissoient, car ils étoient ainsi que d’un pays et d’une frontière et des tenures du roi d’Angleterre, et dit ainsi ....................

(T. iii, p. 198.)


Ainsi par sa courtoisie se devisoit sur le chemin à moi, en chevauchant entre Rochestre et Dartforde, messire Jean de Grailly, capitaine de Bouteville, qui jadis avoit été fils bâtard à ce vaillant chevalier le captal de Buch ; et ses paroles je les oyois très volontiers, et les mettois toutes en mémoire ; et tant que nous fûmes sur le chemin de Ledes à Eltem je chevauchai toujours le plus en sa compagnie et en celle de messire Guillaume de l’Île.

Or vint le roi à Eltem par un mardi. Le mercredi ensuivant, commencèrent seigneurs à venir de tous côtés ; et vinrent le duc de Glocestre, les comtes de Derby, d’Arondel, de Northonbreland, de Kent, de Rostelant, le comte Maréchal, les archevêques de Cantorbie et d’Yorch, les évêques de Londres et de Winchestre et tous