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DE MESSIRE JEAN FROISSART.

ceux qui mandés étoient et furent. Le jeudi à heure de tierce, si commencèrent les parlemens en la chambre du roi ; et là étoient en la présence du roi, de ses oncles et de tout le conseil les chevaliers de Gascogne, qui envoyés y étoient pour leur partie, et le conseil des cités et bonnes villes, et celui du duc de Lancastre. Aux paroles qui furent là dites et proposées je ne étois pas présent, ni être ne pouvois, ni nul n’étoit en la chambre, fors les seigneurs du conseil. Mais quand le conseil fut esparti, qui dura plus de quatre heures, et ce vint après dîner, je me acointai d’un ancien chevalier, que jadis de ma jeunesse j’avois vu en la chambre du roi Édouard, et pour lors il étoit du détroit conseil du roi Richard, et bien le valoit ; et étoit nommé messire Richard Stury, lequel me reconnut tantôt. Si étoient bien vingt quatre ans passés qu’il ne m’avoit vu ; et la derraine fois ce fut à Colleberghe à Bruxelles en l’hôtel du duc Wincelant de Brabant et de la duchesse Jeanne de Brabant. Messire Richard Stury me fit très bonne chère et me recueillit doucement et grandement ; et me demanda de plusieurs nouvelles. Je lui répondis tout à point de celles que je savois. Après tout ce, et en gambiant lui et moi ès allées à l’issue de la chambre du roi à Eltem, je lui demandai de ce conseil, voire si dire le me pouvoit, comment il étoit conclu. Il pensa sur ma parole et demanda un petit, et puis me répondit et dit : ....................

(T. iii, p. 203.)


Or avint le dimanche ensuivant, que tous ces consaux furent départis et retraits à Londres ou ailleurs en leurs lieux, réservé le duc d’Yorch qui demeura de-lez le roi et messire Richard Stury. Ces deux, avecques messire Thomas de Percy, remirent mes besognes au roi, et voulut voir le roi le livre que je lui avois apporté. Si le vit en sa chambre, car tout pourvu je l’avois, et lui mis sus son lit ; il l’ouvrit et regarda dedans et lui plut très grandement. Et plaire bien lui devoit, car il étoit enluminé, écrit et historié et couvert de vermeil velours à dix cloux d’argent dorés d’or, et roses d’or au milieu, et à deux grands fremaulx dorés et richement ouvrés au milieu de rosiers d’or. Donc me demanda le roi de quoi il traitoit, et je lui dis : « D’amours ! » De celle réponse fut-il tout réjoui ; et regarda dedans le livre en plusieurs lieux, et y legy, car moult bien parloit et lisoit françois ; et puis le fit prendre par un sien chevalier, qui se nommoit messire Richard Credon et porter en sa chambre de retrait ; et me fit de plus en plus bonne chère.

Et avint que, ce propre dimanche que le roi eut retenu et reçu en grand amour mon livre, un écuyer d’Angleterre étoit en la chambre du roi et étoit nommé Henry Cristède, homme de bien et de prudence grandement et bien parlant françois ; et s’acointa de moi pour la cause de ce qu’il eut vu que le roi et les seigneurs me eurent fait bonne chère ; et avoit vu le livre lequel j’avois présenté au roi. Et imagina, si comme je vis les apparences par ses paroles, que j’étois un historien, et aussi il lui avoit été dit de messire Richard Stury ; et parla à moi sur la forme que je dirai....................

(T. iii, p. 207.)


Et pour lors véritablement, dit Cristède à Froissart en terminant son récit, c’étoit grand’nouvelleté à voir ces quatre rois d’Irlande, et le vous seroit si vous le véyez. » — « Henry, répondis-je, je le crois bien, et voudrois qu’il m’eût coûté du mien et je eusse là été. Et tant vous en dis que, dès ce temps, toutes mes besognes furent prêtes pour venir en Angleterre ; et y fusse venu sans faute, si n’eussent été les nouvelles qui me furent contées de la mort la roine Anne d’Angleterre ; et cela me retarda de non avoir fait le voyage dès lors. Mais je vous demande une chose qui moult me fait émerveiller ; et volontiers le saurois si vous le savez ; et aucune chose en devriez savoir : comment ces quatre rois d’Irlande sont sitôt venus à l’obéissance du roi d’Angleterre, quand oncques le roi son tayon, qui fut si vaillant homme, si douté et si renommé partout, ne les put soumettre ; et si les a toujours tenus en guerre. Vous m’avez dit que ce fut par traité et par la grâce de Dieu. La grâce de Dieu est bonne qui la peut avoir, et peut moult valoir ; mais on voit petit de seigneurs terriens présentement augmenter leurs seigneuries, si ce n’est par puissance. Et quand je serai retourné en la comté de Hainaut dont je suis de nation, et je parlerai de celle matière, sachez que j’en serai examiné et demandé moult avant, car velà nos seigneurs le duc Aubert de Bavière,