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LIVRE I. — PARTIE I.

Gedours[1], qui sont inhabitables pour ceux qui ne connoissent le pays ; et avoient là retrait tout le leur et mis à sauveté, et ne faisoient compte du demeurant.

Ce n’étoit mie merveille s’ils étoient ébahis et fuyoient devant les Anglois ; car ils n’avoient nul bon capitaine ni sage gouverneur, si comme ils avoient eu au temps passé. Premièrement le roi David étoit jeune en l’âge de quinze ou seize ans ; le comte de Moray encore plus jeune, et un damoisel qui s’appeloit Guillaume de Douglas, neveu à celui qui étoit demeuré en Espagne, de tel âge[2] : si que le pays et le royaume d’Escosse étoit tout dépourvu de bon conseil pour aller ni résister contre les Anglois, qui adonc étoient entrés si puissamment en Escosse. Parquoi la plaine Escosse fut toute courue, arse et gâtée, et plusieurs bons châteaux pris et conquis et que le roi anglois retint pour lui ; et se avisa que par ceux il guerroieroit le remenant, et contraindroit ses ennemis du leur même.


CHAPITRE LVIII.


Comment le roi d’Angleterre mit le siège devant Bervich et comment ceux de la cité se rendirent à lui.


Quand le roi anglois eut été et séjourné, couru et chevauché la plaine Escosse, et arrêté au pays l’espace de six mois et plus, et[3] il vit que nul ne venoit contre lui pour voir son emprise, il se retraist tout bellement pardevers Bervich. Mais à son retour il conquit et gagna le châtel de Dalquise[4], qui est de l’héritage du comte de Douglas, et sied à cinq lieues de Hedaimbourg, et y ordonna châtellain et bonnes gardes pour le garder, et puis chevaucha à petites journées, et fit tant qu’il s’en vint devant la bonne et forte cité de Bervich, qui est à l’entrée d’Escosse et à l’issue du royaume de Northonbrelande. Si l’assiégea et environna le roi de tous points, et dit que jamais n’en partiroit, si l’auroit à sa volonté, non si le roi d’Escosse ne le venoit combattre et lever par force.

Si se tint le roi grand temps devant Bervich, ainçois qu’il la pût avoir ; car la cité est durement forte et bien fermée, et environnée d’un côté d’un bras de mer, et si avoit dedans bonnes gens en garnison de par le roi d’Escosse, pour la garder et défendre et conseiller les bourgeois de la cité[5].

Si vous dis qu’il y eut pardevant Bervich, pendant le terme que le roi y sist, maint assaut et maint hutin, maintes dures escarmouches et presque tous les jours, et mainte appertise d’armes faite ; car ceux de dedans ne se vouloient mie rendre simplement, et cuidoient toujours être confortés ; mais nul apparant n’en fut. Bien est vérité que aucuns preux chevaliers et bache-

  1. Il s’agit ici de la forêt de Jedworth, dans le comté de Roxborough. On sait qu’autrefois toute la Marche (Borders) de l’Écosse étoit garnie de forêts très épaisses dans lesquelles se retiroient les bandes accoutumées à faire de temps à autres des excursions sur le sol anglais. Ces forêts s’étendaient sur les bords de la Jed, de la Tiviot, de l’Etterick, et pouvaient fort bien aller rejoindre celles du comté d’Ayr. Cette Marche est le pays classique des ballades historiques écossaises. Dans une charte accordée par Guillaume-le-Lion, roi d’Écosse, dans l’année 1165, à l’abbé et aux moines de Jedburgh, on emploie indistinctement les noms de Jedworth et de Jedburgh ; le nom de Jedburgh a seul prévalu par la suite. Ce nom s’écrit quelquefois par un G et dérive, dit-on, de Gaderie, ancienne tribu qui habitait tout le pays qui s’étend entre le Northumberland et la Tiviot : c’était peut-être le chef-lieu de cette tribu, et cela lui aura fait prendre le nom de Gadburgh ou Jedburgh (sir J. Sainclair, Statistical account of Scotland, p. 1, number 1). La paroisse de Jedburgh est renfermée dans le comté de Roxburgh ou Tiviot-dale.
  2. Jacques Douglas, mentionné dans les premiers chapitres.
  3. Tout ce récit de Froissart est fort inexact ; voici ce qu’en dit lord Huiles dans ses annales : « Édouard paraît avoir passé le 7 mai à Belfort dans sa marche vers le nord. Il est donc probable qu’un ou deux jours après il a pu aller à Berwick. Froissart raconte qu’Édouard laissa Balliol avec ses troupes devant Berwick pour envahir l’Écosse, ravager le pays, pénétrer jusqu’à Dundee, et que de là il traversa le pays pour se rendre à Dunbarton ; qu’il prit les châteaux d’Édimbourg et de Dalkeith, y mit garnison, et qu’après avoir employé six mois à cette expédition, il alla reprendre le siège de Berwick. Ce récit a été copié par plusieurs historiens qui n’ont pas su distinguer quand Froissart était bien ou mal informé. Le fait est que Froissart a placé en 1333 des événemens qui, pour la plupart, n’eurent lieu que plus tard. Cette époque de six mois est une chose tout-à-fait impossible, car Édouard ne se rendit au siège de Berwick qu’au mois de mai, et la place se rendit le 20 juillet. Il paraît de plus par les Fœdera, qu’Édouard se trouvait dans les environs de Berwick le 27 et 30 mai, les 2, 4, 5, 6, 8, 26 juin et les 2, 6 et 15 juillet, de manière qu’il n’a pu être absent même trois semaines, et il n’est pas même probable qu’il ait jamais quitté le siège. Une invasion de l’Écosse à ce moment n’aurait pu être utile pour la conquête de ce pays, et en divisant l’armée, elle eût pu avoir de funestes conséquences. »
  4. Dalkeith.
  5. Patrick Dunbar, comte de la Marche, et Guillaume Keith commandaient dans Berwick.