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LIVRE I. — PARTIE I.

il s’en vint droit à Bruxelles : là le reconvoyèrent le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Brankebourch, le comte de Mons, messire Jean de Hainaut, le sire de Fauquemont et tous les barons de l’Empire, qui s’étoient alliés à lui ; car ils vouloient aviser l’un contre l’autre comment ils se maintiendroient de cette guerre où ils s’étoient boutés. Et pour avoir certaine expédition, ils ordonnèrent un grand parlement à être en la dite ville de Bruxelles ; et y fut prié et mandé Jacques d’Artevelle, lequel y vint liement et en grand arroy, et amena avec lui tous les conseils des villes de Flandre. À ce parlement qui fut à Bruxelles[1] eut plusieurs paroles dites et devisées ; et me semble, à ce qui m’en fut recordé, que le roi anglois fut si conseillé de ses amis de l’Empire qu’il fit une requête à ceux de Flandre, qu’ils lui voulussent aider à parmaintenir sa guerre, et défier le roi de France, et aller avec lui partout où il les voudroit mener ; et si ils vouloient il leur aideroît à recouvrer Lille, Douay, et Béthune. Cette parole entendirent les Flamands volontiers ; mais de la requête que le roi leur faisoit demandèrent-ils à avoir conseil entre eux tant seulement, et tantôt répondre. Le roi leur accorda. Si se conseillèrent à grand loisir ; et quand ils se furent conseillés, ils répondirent et dirent : « Cher sire, autrefois nous avez-vous fait telles requêtes, et sachez voirement que, si nous le pouvions nullement faire, par notre honneur et notre foi garder, nous le ferions ; mais nous sommes obligés, par foi et serment et sur deux millions de florins à la chambre du pape, que nous ne pouvons émouvoir guerre au roi de France, quiconque le soit, sans être encourus en cette somme, et écheoir en sentence d’excommuniement ; mais si vous voulez faire une chose que nous vous dirons, vous y pourverriez bien de remède et de conseil ; c’est que vous veuilliez encharger les armes de France et équarteler d’Angleterre, et vous appeler roi de France, et nous vous tiendrons pour droit roi de France, et obéirons à vous comme au roi de France, et vous demanderons quittance de notre foi ; et vous la nous donnerez comme roi de France : par ainsi serons-nous absous et dispensés, dirons partout là où voudrez et ordonnerez. »


CHAPITRE XCVI.


Comment le roi d’Angleterre enchargea les armes et le nom de roi de France par l’ennortement des Flamands.


Quand le roi anglois eut ouï ce point et la requête des Flamands, il eut besoin d’avoir bon conseil et sûr avis, car pesant lui étoit de prendre le nom et les armes de ce dont il n’avoit encore rien conquis ; et ne savoit quelle chose l’en aviendroit, ni si conquerre le pourroit. Et d’autre part il refusoit ennuis le confort et aide des Flamands, qui plus le pouvoient aider à sa besogne que tout le remenant du siècle. Si se conseilla ledit roi au duc de Brabant, au duc de Guerles, au marquis de Juliers, à messire Jean de Hainaut, à messire Robert d’Artois et à ses plus secrets et espéciaux amis : si que finalement tout pesé, le bien contre le mal, il répondit aux Flamands, par l’information des seigneurs dessus dits : que si ils lui vouloient jurer et sceller qu’ils lui aideroient à parmaintenir sa guerre, il emprendroit tout ce de bonne volonté, et aussi il leur aideroit à ravoir Lille, Douay et Béthune. Et ils répondirent : « Oil[2]. » Donc fut pris et assigné un certain jour à être à Gand. Lequel jour se tint ; et y fut le roi d’Angleterre et la plus grand’partie des seigneurs de l’Empire dessus nommés alliés avec lui ; et là furent tous les conseils de Flandre généralement et espécialement. Là furent toutes les paroles au devant dites relatées et proposées, entendues, accordées, écrites et scellées ; et enchargea le roi d’Angleterre les

  1. On a vu ci-dessus, à la fin de la lettre d’Édouard, que tous ses alliés devaient s’assembler à Anvers le lendemain de la Saint-Martin. Peut-être que le lieu le l’assemblée fut changé, ou bien qu’on s’assembla d’abord à Bruxelles et eusuite à Anvers.
  2. Ceci dut se passer au commencement de janvier 1340. Le pouvoir donné par Édouard à Guillaume de Montagu, comte de Salisbury, à Henri de Ferrers son chambellan et à Geoffroi de Scrop, chevalier, pour conclure en son nom un traité d’alliance avec les Flamands, à condition qu’ils le reconnaîtraient pour roi de France, est daté du 4 du même mois de janvier. Il en prit bientôt le titre dans les actes publics : on en trouve un du 26 de ce mois, qui est daté de la première année de son règne en France. Le 8 février suivant, il notifia à tous les Français le droit qu’il prétendait avoir à la couronne de France, les invitant à le reconnaître pour leur souverain, à l’exemple des Flamands ; et il publia en même temps un manifeste dans lequel il essaye de justifier les motifs qui l’ont déterminé à prendre le titre de roi de France et à revendiquer le royaume sur Philippe de Valois.