Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1342]
161
LIVRE I. — PARTIE I.

deux chevaliers ne fussent décolés après dîner : tant étoit le dit messire Louis courroucé et ayré sur eux.


CHAPITRE CLXXXVIII.


Comment messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon rescouirent les deux dessus dits chevaliers et les emmenèrent à Hainebon.


Toutes les paroles, demandes et réponses qui premiers furent dites entre messire Charles et messire Louis, pour occasion de ces deux chevaliers, sçurent tantôt messire Gautier de Mauny et messire Almaury de Cliçon par espies qui toujours alloient couvertement d’un ost en l’autre ; et aussi sçurent toutes ces paroles dernièrement dites, quand les deux chevaliers furent amenés en la tente messire Charles. Et quand messire Gautier et messire Almaury de Cliçon ouïrent ces nouvelles et entendirent que c’étoit acertes, ils en eurent grand’pitié : si appellèrent aucuns de leurs compagnons et leur montrèrent le meschef des deux chevaliers leurs compagnons, pour avoir conseil comment ils se maintiendroient et quelle chose ils pourroient faire : puis commencèrent à penser, l’un çà, l’autre là, et n’en savoient qu’aviser. Au dernier commença à parler le preux chevalier messire Gautier de Mauny et dit : « Seigneurs compagnons, ce seroit grand honneur pour nous, si nous pouvions ces deux chevaliers sauver ; et si nous en mettons en peine et en aventure et nous faillissons, si nous en sauroit le roi Édouard notre sire gré : aussi feroient tous prud’hommes qui au temps à venir en pourroient ouïr parler, puisque nous en aurions fait notre pouvoir. Si vous en dirai mon avis, si vous avez volonté de l’entreprendre ; car il me semble que on doit bien le corps aventurer, pour les vies de deux si vaillans chevaliers sauver. J’ai avisé, s’il vous plaît, que nous nous armerons et partirons en deux parts, dont l’une des parts istra maintenant que on dînera, par cette porte, et s’en iront les compagnons ranger et montrer sur ces fossés, pour émouvoir l’ost et pour escarmoucher ; bien crois que tous ceux de l’ost accourront cette part tantôt : vous, messire Almaury, en serez capitaine, s’il vous plaît, et aurez avec vous mille bons archers pour les survenans détrier et faire reculer ; et je prendrai cent de mes compagnons et cinq cents archers, et istrons par celle poterne couvertement, et viendrons par derrière férir en leurs logis que nous trouverons vuis. J’ai bien avec moi tel gent qui savent bien la voie aux tentes messire Charles où les deux chevaliers sont ; si me trairai celle part ; et je vous promets que je et mes compagnons ferons notre pouvoir d’eux délivrer, et les amènerons à sauveté, s’il plaît à Dieu. »

Ce conseil et avis plut bien à tous ; et s’en allèrent armer et appareiller incontinent. Et se partit droit sur l’heure du dîner, messire Almaury de Cliçon à trois cents armures de fer et mille archers, et fit ouvrir la maître porte de la ville de Hainebon, dont le chemin alloit droit en l’ost. Si coururent les Anglois et les Bretons qui à cheval étoient jusques en l’ost, en demenant grands cris et grands hus ; et commencèrent à abattre et renverser tentes et trefs, et à tuer et découper gens où ils les trouvoient. L’ost ; qui fut tout effrayé se commença à émouvoir, et s’armèrent toutes manières de gens le plus tôt qu’ils purent, et se trairent devers les Anglois et Bretons qui les recueilloient vitement. Là eut dure escarmouche et forte, et maint homme reversé d’nn côté et d’autre. Quand messire Almaury de Cliçon vit que l’ost s’émouvoit et que près étoient tous armés et traits sur les champs, il retrait ses gens tout bellement en combattant, jusques devers les barrières de la ville. Adonc s’arrètèrent-ils là tous cois ; et les archers étoient tous rangés sur le chemin d’un côté et d’autre qui traioient sagettes à pouvoir ; et Gennevois retraioient aussi efforcément contre eux. Là commença le hutin grand et fort, et y accoururent tous ceux de l’ost que oncques nul ne demeura, fors les varlets. Entrementes messire Gautier de Mauny et sa route issirent par une poterne couvertement, et vinrent par derrière l’ost ès tentes et logis des seigneurs de France. Oncques ne trouvèrent homme qui leur véast, car tous étoient à l’escarmouche devant les fossés ; et s’en vint le dit messire Gautier de Mauny tout droit, car bien avoit qui le menoit, en la tente messire Charles de Blois, et trouva les deux chevaliers, messire Hubert de Fresnay et messire Jean le Bouteillier, qui n’étoient mie à leur aise : mais ils le furent sitôt qu’ils virent messire Gautier et sa route : ce fut bien raison. Si furent tantôt montés sur bons coursiers qu’on