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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/241

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LIVRE I. — PARTIE I.

voir et fêter le roi d’Angleterre et les barons de l’ost. Le roi recueillit la dame moult liement ; et adonc eut entre eux là plusieurs paroles qui toutes ne purent mie être écrites. Et quand la comtesse eut là été devant Vennes avec le roi, ne sais trois ou quatre jours, elle s’en partit et retourna à Hainebon avec ses gens.

Or vous parlerons de messire Charles de Blois qui se tenoit dedans la cité de Nantes. Sitôt qu’il sçut que le roi anglois étoit arrivé en Bretagne, il le signifia au roi de France son oncle, et y envoya devers lui grands messages pour mieux exploiter, et pour prier qu’il fût aidé et conforté à l’encontre des Anglois ; car ils étoient venus en son pays à grand’puissance. Le roi ouït et reçut les messages moult liement, et en répondit moult courtoisement, et dit qu’il enverroit à son neveu si grand confort comme pour résister contre ses ennemis, et eux bouter hors de Bretagne. Voirement y envoya-t-il depuis le duc de Normandie son fils à grand’puissance ; mais ce ne fut mie sitôt : ainçois eurent les Anglois moult dommagé le pays de Bretagne, si comme vous orrez avant en l’histoire.


CHAPITRE CCIV.


Comment le roi anglois laissa une partie de ses gens devant Vennes et s’en alla devant Rennes ; et puis vint mettre le siége devant Nantes où messire Charles de Blois étoit.


Quand le roi anglois qui séoit devant Vennes, vit la cité si forte et si bien fournie de gens d’armes, et entendit par ses gens que le pays de là environ étoit si povre et gâté qu’ils ne savoient où fourrer, ni avoir vivres pour eux, ni pour leurs chevaux, tant étoient-ils grand nombre, si s’avisa qu’il en laisseroit là une partie pour tenir le siége, et atout le remenant de son ost il se trairoit pardevant Rennes, et verroit ses gens qui là séoient, qu’il n’avoit vus de grand temps. Si ordonna le comte de Warvich, le comte d’Arondel, le baron de Stanfort, messire Gautier de Mauny, messire Yvon de Treseguidy, et messire Girard de Rochefort, à cinq cents hommes d’armes et mille archers, à tenir le siége devant Vennes. Puis s’en partit le dit roi atout le remenant de son ost, où bien avoit quinze cents hommes d’armes et six mille archers ; et chevaucha tout ardant et exillant le pays d’un lez et d’autre ; et fit tant qu’il vint devant Rennes, où il fut moult liement vu et reçu de ses gens qui là séoient, et avoient sis un grand temps. Et quand il eut là été environ cinq jours, il entendit que messire Charles de Blois étoit dedans la cité de Nantes, et là faisoit son amas de gens d’armes : si dit qu’il se trairoit celle part ; et se partit du siége de Rennes, et y laissa ceux que trouvés y avoit ; et chevaucha tant qu’il vint atout son ost devant Nantes, et l’assiégea si avant qu’il put, tant est grande et étendue. Si coururent ses maréchaux et ses gens environ, et gâtèrent et exillièrent durement le pays plat, et prenoient vivres et pourvéances partout où ils les pouvoient trouver. Et furent le dit roi d’Angleterre et ses gens ordonnés sur une montagne, au dehors de la cité de Nantes, un jour de matin jusques à nonne, par manière de bataille ; et cuidoient bien les Anglois que messire Charles de Blois et ses gens dussent issir, mais non firent. Quand les Anglois virent ce, ils se retrairent à leurs logis : mais les coureurs du roi d’Angleterre coururent adonc jusques devant les barrières de la cité, et à leur retour ils ardirent les faubourgs.


CHAPITRE CCV.


Comment le roi anglois laissa le comte de Kenford et plusieurs autres seigneurs devant Nantes et alla assiéger Dynant.


Ainsi se tint le roi d’Angleterre devant Nantes. Et messire Charles de Blois étoit dedans, qui souvent escripsoit et envoyoit lettres et messages, et l’état des Anglois, devant le roi de France son oncle et le duc de Normandie son cousin qui le devoit conforter, car il en étoit chargé. Et étoit jà trait et venu le duc de Normandie en la cité d’Angiers, et là faisoit son amas de toutes manières de gens d’armes qui là venoient de tous côtés. Entrementes que ces assemblées se faisoient, se tenoit le roi d’Angleterre devant Nantes, et l’avoit assiégée de l’un des côtés, et y faisoit souvent assaillir et escarmoucher et éprouver ses gens : mais en tous ces assauts petit y conquit ; ainçois y perdit par plusieurs fois de ses hommes, dont moult lui ennuya. Quand il vit et considéra que par assaut il n’y pouvoit rien faire et que messire Charles de Blois n’istroit point aux champs pour le combattre, il s’avisa qu’il laisseroit là la plus grand’partie de ses gens à siége, et se trairoit autre part, en gâtant et exillant le pays. Si ordonna le comte de Kenford, messire Henry