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LIVRE I. — PARTIE I.

Encore assez tôt après furent mis à mort par fame, je ne sais si elle fut vraie ou non, quatre chevaliers moult gentils hommes de Normandie, c’est à savoir, messire Guillaume Bacon, messire Henri de Malestroit, le sire de la Rochetesson, et messire Richard de Persy[1]. Desquelles morts il déplut grandement aux lignages de ceux ; et en sourdirent depuis maints maux et grands meschefs en Bretagne et en Normandie, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire. Le sire de Cliçon avoit un fils, jeune damoisel, qui s’appeloit Olivier[2] ainsi que son père : cil se traist tantôt au châtel de Hainebon avec la comtesse de Montfort et Jean de Montfort son fils, qui étoit auques de son âge, et sans père[3] ; car aussi étoit mort au Louvre à Paris en prison le comte de Montfort.


CHAPITRE CCXIII.


Comment le roi d’Angleterre fonda une chapelle de Saint-George et y ordonna la fête du Bleu Gertier à être célébrée d’an en an.


En ce temps vint en propos et volonté au roi Édouard d’Angleterre qu’il feroit refaire et rédifier le grand châtel de Windesore, que le roi Artus fit jadis faire et fonder, là où fut premièrement commencée et estorée la noble Table Ronde, dont tant de bons vaillans hommes et chevaliers issirent, et travaillèrent en armes, et en prouesses par le monde ; et feroit le dit roi une ordonnance de chevaliers, de lui et de ses enfans et des plus preux de sa terre ; et seraient en somme quarante[4], et les nommeroit-on les Chevaliers du Bleu Gertier[5], et la fête à tenir et à durer d’an en an et à solenniser à Windesore le jour Saint George. Et pour cette fête commencer, le roi d’Angleterre assembla de tout son pays, comtes, barons et chevaliers, et leur dit son intention et le grand désir qu’il avoit de la fête entreprendre. Si lui accordèrent liement, pour ce que leur sembloit une chose honorable, et où toute amour se nourriroit.

Adonc furent élus quarante chevaliers[6], par avis et par renommée les plus preux de tous les autres ; et scellèrent et s’obligèrent par foi et serment avec le roi de tenir et poursuivre la fête et les ordonnances, telles qu’elles étoient accordées et devisées. Et fit le roi fonder et édifier une chapelle de Saint George, au dit châtel de tel de Windesore, et y établit chanoines pour Dieu servir ; et les arrenta et approuvenda bien et largement ; et afin que la dite fête fut sçue et connue en toutes marches, le roi d’Angleterre l’envoya publier et dénoncer par ses hérauts en France, en Escosse, en Bourgogne, en Hainaut, en Flandre, en Brabant, et aussi en l’empire d’Allemagne. Et donnoit à tous chevaliers et écuyers, qui venir y voudroient, quinze jours de sauf conduit après la fête. Et devoit être à cette fête une joute de quarante chevaliers de par dedans, attendans tous autres, et de qua-

  1. Suivant l’auteur des Chron. de France, le sire de la Roche-Tesson, Richard de Percy et Guillaume Bacon furent exécutés la veille de Pâques 1343 (1344). Quant à Henri de Malestroit, frère de Geoffroy dont on a parlé précédemment, il était non pas chevalier, comme dit Froissart, mais diacre, et avait été maître des requêtes de l’hôtel de Philippe de Valois. En sa qualité de clerc, il fut réclamé par l’évêque de Paris ; mais bientôt après le roi ayant obtenu du pape qu’il serait dégradé, le fit élever sur une échelle où il fut lapidé par la populace de Paris vers la fin du mois d’août ou le commencement de septembre 1344.
  2. C’est le même qui fut depuis connétable de France après la mort de Du Guesclin.
  3. Le comte de Montfort vivait encore.
  4. Il n’y en avait que vingt-six, d’après la première institution ; mais je trouve depuis quelques années la liste portée à quarante.
  5. Froissart confond mal à propos l’institution de l’ordre de la Jarretière avec celle de la fête de la Table Ronde qui eut lieu cette année, suivant Walsingham, et la plupart des historiens anglais. Il est possible que cet établissement ait fourni à Édouard l’idée du second et en ait été l’origine ; mais les mêmes historiens, dont l’autorité en ce point doit l’emporter sur celle de Froissart, s’accordent unanimement à reculer la date de l’institution de l’ordre de la Jarretière à l’année 1349 ; quelques-uns même à l’année suivante.
  6. On vient de voir qu’il n’y en avait que vingt-six qui étaient :

    1. Le roi Édouard. 2. Édouard prince de Galles. 3. Henry comte de Lancastre. 4. Thomas comte de Warwick. 5. Piers de Grailly Captal de Buch. 6. Ralph, lord Stafford. 7. William, comte de Salisbury. 8. Roger comte de Marck. 9. John comte de Lisle. 10. Barthelemy lord Bughersh. 11. John, lord Beauchamp. 12. John lord Mohun de Dunster. 13. Hugues lord Courtenay. 14. Thomas lord Holland. 15. John lord Grey de Codnore. 16. Sir Richard Fitz Simon. 17. Sir Miles Stapleton. 18. Sir Thomas Wale. 19. Sir Hugues Wrottesby. 20. Sir Nele Loring. 21. Sir John Chandos. 22. Lord James Audley. 23. Sir Otho Holland, 24. Sir Henry Edme de Brabant. 25. Sir Sanchio d’Aubrecicourt. 20. Sir Walter Paveley.