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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

d’issir hors, et combattre ses ennemis, comment qu’il fut. Et envoya le dit roi ce venredi ses maréchaux, le sire de Saint-Venant et messire Charles de Montmorency, hors d’Abbeville, découvrir sur le pays, pour apprendre et savoir la vérité des Anglois. Si rapportèrent les dessus dits au roi, à heure de vespres, que les Anglois étoient logés sur les champs, assez près de Crécy en Ponthieu, et montroient, selon leur ordonnance et leur convenant, qu’ils attendoient là leurs ennemis. De ce rapport fut le roi de France moult lie, et dit que, s’il plaisoit à Dieu, lendemain ils seroient combattus. Si pria le dit roi au souper, ce venredi, de lez li tous les hauts princes qui adonc étoient dedans Abbeville ; le roi de Behaigne premièrement, le comte d’Alençon son frère, le comte de Blois son neveu, le comte de Flandre, le duc de Lorraine, le comte d’Aucerre, le comte de Sancerre, le comte de Harecourt, messire Jean de Hainaut et foison d’autres ; et fut ce soir en grand’récréation et en grand parlement d’armes, et pria après souper à tous les seigneurs qu’ils fussent l’un à l’autre amis et courtois, sans envie, sans haine et sans orgueil : et chacun lui enconvenança. Encore attendoit le dit roi le comte de Savoie et messire Louis de Savoie son frère, qui devoient venir à bien mille lances de Savoyens et du Dauphiné ; car ainsi étoient eux mandés et retenus et payés de leurs gages à Troyes en Champagne, pour trois mois. Or retournerons-nous au roi d’Angleterre, et vous conterons une partie de son convenant.


CHAPITRE CCLXXXIV.


Comment le roi d’Angleterre donna à souper à ses comtes et barons, et puis au matin, la messe ouïe, lui et son fils et plusieurs autres reçurent le corps de Notre Seigneur ; et comment il fit ordonner ses batailles.


Ce venredi, si comme je vous ai dit, se logea le roi d’Angleterre à pleins champs à tout son ost, et se aisèrent de ce qu’ils avoient : ils avoient bien de quoi, car ils trouvèrent le pays gras et plantureux de tous vivres, de vins et de viandes, et aussi, pour les défautes qui pouvoient avenir, grands pourvéances à charroy les suivoient. Si donna le dit roi à souper aux comtes et barons de son ost, leur fit moult grand’chère, et puis leur donna congé d’aller reposer, si comme ils firent. Cette même nuit, si comme je l’ai depuis ouï recorder, quand toutes ses gens furent partis de lui, et qu’il fut demeuré de-lez ses chevaliers de son corps et de sa chambre, il entra en son oratoire, et fut là à genoux et en oraison devant son autel, en priant dévotement Dieu qu’il le laissât lendemain, s’il se combattoit, issir de la besogne à son honneur. Après ses oraisons, environ mie nuit, il alla coucher ; et lendemain se leva assez matin par raison, et ouït messe, et le prince de Galles son fils ; et s’accommunièrent ; et en telle manière la plus grand’partie de ses gens se confessèrent et mirent en bon état.

Après les messes, le roi commanda à toutes gens eux armer, et issir hors de leurs logis et traire sur les champs en la propre place qu’ils avoient le jour devant avisée ; et fit faire le dit roi un grand parc près d’un bois derrière son ost, et là mettre et retraire tous chars et charrettes ; et fit entrer dedans ce parc tous les chevaux, et demeura chacun homme d’armes et archer à pied ; et n’y avoit en ce parc qu’une seule entrée.

En après il fit faire et ordonner par son connétable et ses maréchaux trois batailles : si fut mis et ordonné en la première son jeune fils le prince de Galles, et de-lez le dit prince furent élus pour demeurer, le comte de Warvich, le comte de Kenfort, messire Godefroy de Harecourt, messire Regnaut de Cobehen, messire Thomas de Hollande, messire Richard de Stanfort, le sire de Manne, le sire de la Ware, messire Jean Chandos, messire Barthelemy de Brubbes, messire Robert de Neufville, messire Thomas Cliford, le sire de Bourchier, le sire Latimer et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers, lesquels je ne sais mie tous nommer : si pouvoient être en la bataille du prince environ huit cents hommes d’armes et deux mille archers et mille brigans[1] parmi les Gallois. Si se trait moult ordonnément cette bataille sur les champs, chacun sire dessous sa bannière ou son pennon, ou entre ses gens.

En la seconde bataille furent le comte de Norhantonne, le comte d’Arondel, le sire de Ros, le sire de Lucy, le sire de Villebi, le sire de Basset, le sire de Saint-Aubin, messire Louis Tueton, le sire de Multon, le sire de la Selle[2] et plusieurs autres ; et étoient en cette bataille environ cinq cents hommes d’armes et douze cents archers.

  1. Soldats à pied armés à la légère.
  2. Johnes, dans sa traduction, dit lord Lascels.