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LIVRE I. — PARTIE I.

de pied ; et bien y avoit quatre cents chevaliers, et entre ces quatre cents, vingt trois bannerets.

Si se partit de Nantes le dit messire Charles et toutes ses gens, et exploitèrent tant qu’ils vinrent devant la Roche-Derien : si assiégèrent toute la ville et le châtel aussi, et firent devant dresser grands engins qui jetoient nuit et jour et qui moult travailloient ceux de la ville. Si envoyèrent tantôt messages devers la comtesse de Montfort, en remontrant comment ils étoient contraints et assiégés, et requéroient que on les confortât ; car on leur avoit enconvenancé, si ils étoient assiégés. La comtesse et les trois chevaliers, pour leur honneur, ne l’eussent jamais laissé : si envoya la dite comtesse ses messages, où elle pensoit avoir gens ; et fit tant qu’elle eut en peu de temps mille armures de fer et huit mille hommes de pied[1] : si les mit tous au conduit et en garde de ces trois chevaliers dessus nommés, qui baudement et volontiers les reçurent ; et lui dirent au département qu’ils ne retourneroient jamais, si seroit la ville et le châtel désassiégés, ou ils demeureroient tous en la peine. Puis se mirent au chemin et s’en allèrent celle part à grand exploit, et firent tant qu’ils vinrent assez près de l’ost messire Charles de Blois. Quand messire Thomas d’Angourne, messire Jean de Hartecelle et messire Tanguy du Chastel, et les autres chevaliers qui là étoient assemblés, furent venus à deux lieues près de l’ost des François, ils se logèrent sur une rivière[2], à cette intention que pour battre lendemain ; et quand ils furent logés et mis à repos, messire Thomas d’Angourne et messire Jean de Hartecelle prirent environ la moitié de leurs gens et les firent armer et monter à cheval tout coiement, et puis se partirent ; et droit à heure de minuit ils se boutèrent en l’ost de messire Charles de Blois à l’un des côtés. Si y firent grand dommage, et occirent et abattirent grand’foison de gens ; et demeurèrent tant en ce faisant, que tout l’ost fut estourmi, et armés toutes manières de gens, et ne se purent partir sans bataille. Là furent enclos et combattus et reboutés durement et âprement, et ne purent porter le faix des François. Si y fut pris et moult douloureusement navré messire Thomas d’Angourne[3] ; et se sauva le mieux qu’il put le dit messire Jean de Hartecelle et une partie de ses gens ; mais la graigneur partie y demeurèrent morts ou prisonniers. Ainsi tout déconfit retourna le dit messire Jean à ses autres compagnons, qui étoient logés sur la rivière ; et trouva messire Tanguy du Chastel et les autres auxquels il recorda son aventure, dont ils furent moult émerveillés et ébahis, et eurent conseil qu’ils se délogeroient et se retrairoient à Hainnebon.


CHAPITRE CCCXIV.


Comment, par le conseil de messire Garnier de Quadudal, fut pris messire Charles de Blois et tout son ost déconfit devant la Roche-Derien.


À celle heure et en cel état, entrementes qu’ils étoient en grand conseil d’eux déloger, vint là un chevalier de par la comtesse, qui s’appeloit messire Garnier sire de Quadudal, atout cent armures de fer, et n’avoit pu plus tôt venir. Sitôt qu’il sçut le convenant et le parti où ils étoient, et comment par leur emprise ils avoient perdu, si leur donna nouveau conseil ; et ne fut de néant effrayé, et dit à messire Jean et à messire Tanguy : « Or tôt, armez-vous et faites armer vos gens, et monter à cheval qui cheval a ; et qui point n’en a si vienne à pied ; car nous irons voir nos ennemis ; et ne me doute mie, selon ce que ils se tiennent pour tous assurés, que

    nustre et viendrent devers nous sour les enemys mult chivalrosement, et enfins nous eumes à feare od les enemys avaunt q’il fust solail levaunt à IIII batailles chescune après aultre. Et fusrent mortz à la journée le sire de La Vaale, le viscounte de Roane*, le sire de Chastiel Briane, le sire de Malatret, le sire de Quintyn, le sire de Rougé, le sire de Derevall et son filtz et heir, mounseigneur Rauf de Mountfort et plusieurs aultres chivalers et esquiers entre DC et DCC hommes d’armes, et du comune people jeo ne vous say dire le certain. Et fusrent pris al dit journé mounseigneur Charles de Bloys, mounseigneur Guy de La Vaale filtz et heir le sire de de La Vaale qe morust à la bataille, le sire de Rocheforde, le sire de Beaumaneres, le sire Loiak, le sire de Melak, le sire de Tyntenyak et aultres chivalers et esquiers à graunt nombre. »

    * Alain VII vicomte de Rohan, ne fut point tué dans cette action.

  1. Thomas d’Agworth dit, dans sa lettre, qu’il n’avait que trois cents hommes d’armes et quatre cents archers.
  2. Vraisemblablement la rivière de Jaudi.
  3. D’Agworth ne parle point de cette première tentative, ni de sa blessure, ni de la perte de sa liberté ; il ne fait mention que de sa victoire. Tous les historiens de Bretagne assurent néanmoins qu’il fut pris et délivré jusqu’à deux fois.