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LIVRE I. — PARTIE II.

hardement lui étoit doublé pour la cause de son frère que il vouloit contrevenger. Si s’abandonna à ce commencement le dit chevalier si follement que il l’en dût près être mésavenu. Car il fut enclos des Anglois et si fort assailli que durement blessé et navré, mais à la rescousse vinrent le comte de Porcien, messire Guillaume de Bourbon, messire Beaudoin Dennekins et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers. Si fut messire Guichard rescous et mis hors de la presse pour lui un petit rafraîchir, car il étoit tout essanné.

Si vous dis que les Anglois se combattirent si bien et si vassamment que encore eussent-ils déconfit ceux qui là étoient venus, si n’eussent été les brigands, qui vinrent là au secours plus de cinq cents, à lances et à pavois, tous bien armés, frais et nouveaux. Si ne purent avoir durée les Anglois quand ils furent rechargés de ces gens-là nommés brigands ; car ils étoient tous lassés et hodés de longuement combattre. Ainsi firent les brigands la déconfiture. Si y furent pris messire Jean de Beauchamp, messire Louis de Clifford, messire Olivier de Baucestre, messire Philippe de Beauvert, messire Louis Tuiton, messire Alexandre Ansiel et bien vingt chevaliers tous de nom et aussi tous les écuyers ; et furent rescous tous les autres prisonniers françois qui pris étoient en devant. Si fût trop bien la besogne allée pour les François, si le sire de Beaujeu n’eût été là mort. Mais le gentil chevalier, qui si vaillant homme fut et si prud’homme, dévia là sur la place ; de quoi tous les compagnons furent durement courroucés, mais amender ne le purent. Si fut chargé et rapporté à Saint-Omer ; et aussi fut messire Guichard son frère, qui si navré étoit qu’il ne pouvoit chevaucher. Si retournèrent tous les compagnons à Saint-Omer et là ramenèrent leurs prisonniers.

Or vous dirai que la proie de Saint-Omer devint que les Anglois avoient pris entre Bavelinghehen et Saint-Omer.

Les trois frères de Ham qui étoient moult bons chevaliers et cils de la garnison de Ghines et de Le Montoire[1] se mirent en embûche. Si étoient bien trois cents armures de fer. Si rencontrèrent ces Anglois qui la proie emmenoient ; et leur vinrent au devant et leur coururent sus. Vraiment les Anglois se tinrent et défendirent tant qu’ils purent, mais en la fin ils furent déconfits et tous morts ou pris, et la proie rescousse, et fut là sur les champs départie à ceux des garnisons qui au conquerre avoient été. Oncques cils de Saint-Omer n’en eurent nulle restitution. Si en firent-ils bien depuis question ; mais on trouva par droit d’armes qu’ils n’y avoient rien, ainçois étoit à ceux qui l’avoient gagnée. Si leur convint porter et passer ce dommage au plus bel qu’ils purent.

Or fut le sire de Beaujeu embaumé et aporté en son pays de Beaujolois et enseveli en l’abbaye de Belleville, ainsi que devisé l’avoit.

Si fut messire Arnoul d’Andrehen envoyé à Saint-Omer pour là faire frontière contre les Anglois, et le comte de Warvich à Calais, au lieu de son oncle messire Jean de Beauchamp, mais il fut délivré en celle année en échange pour messire Guy de Nelle. Si rançonnèrent les compagnons d’une part et d’autre, ainsi que Anglois et François ont eu entre eux toudis bon usage.


CHAPITRE IX.


Comment le pape Clément mourut et comment le nouveau pape Innocent obtint une trêve entre les deux rois.


En ce temps trépassa, à la Ville-Neuve de-lez Avignon, le pape Clément[2]. Si fut Innocent[3] pape. Assez tôt après la création du pape Innocent, s’en vint en France et à Paris messire Guy le cardinal de Boulogne. Si fut reçu et conjoui grandement du roi Jean, ce fut bien raison. Et étoit envoyé en France le dit cardinal pour traiter une trêve entre le roi de France et le roi d’Angleterre ; et l’avoit en celle instance le pape Innocent là envoyé en légation. Lequel pape par ses bulles prioit doucement à l’un roi et à l’autre que ils voulsissent faire comparoir leurs conseils devant lui et le collége de Rome en son palais en Avignon, et, si on pouvoit nullement, on les mettroit à paix. Si exploita si bien le dit cardinal, qui fut sage homme et vaillant, avec les lettres du pape, que unes trêves furent données entre les deux rois dessus nommés

  1. Village près d’Ardres.
  2. Clément VI du nom, mort le 6 décembre 1352.
  3. Étienne Aubert, ancien évêque de Clermont, cardinal d’Ostie, pape sous le nom d’Innocent VI, le 18 décembre 1352.