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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

En cette visitation que le roi de Navarre et ses frères firent en Angleterre eut grands traités et grands alliances ensemble ; et devoit le roi d’Angleterre efforcément arriver en Normandie et prendre terre à Chierebourch et le roi de Navarre lui devoit, à lui et à ses gens, prêter les forteresses pour guerroyer le royaume de France.

Quand toutes ces choses furent bien faites et ordonnées à leur entente, et les enfans de Navarre eurent séjourné de-lez le roi et la roine environ quinze jours, ils se départirent et s’en retournèrent arrière en la comté d’Évreux à visiter le fort châtel de Breteuil, Kem et tous autres châteaux qui du roi de Navarre se tenoient.

Le roi d’Angleterre ne mit mie en nonchaloir son propos, et dit, puisque paix ne s’étoit pu faire en Avignon, que il ne fît oncques si forte guerre en France que il feroit. Et ordonna en celle saison de faire trois armées : l’une en Normandie, et l’autre en Bretagne et la tierce en Gascogne ; car de Gascogne étoient venus en Angleterre le sire de Pommiers, le sire de Rosem, le sire de l’Esparre, et le sire de Mucident qui prioient au roi qu’il leur voulût bailler et envoyer ens ès parties par delà son fils le prince de Galles et ils l’aideroient à faire bonne guerre.

Le roi d’Angleterre fut adonc si conseillé qu’il leur accorda ; et dut le duc de Lancastre aller en Bretagne atout cinq cents hommes d’armes et mille archers, car messire Charles de Blois étoit revenu au pays, qui faisoit grand’guerre à la comtesse de Montfort. Il s’étoit rançonné quatre cent mille écus qu’il devoit payer, et en nom de trau il en avoit envoyé deux de ses fils, Jean et Guy, en Angleterre, à condition que deux cents hommes d’armes et quatre cents archers arriveroient en Normandie sur la terre de Navarre[1].

Si fit le dit roi faire ses pourvéances grands et grosses pour toutes ces besognes parfournir ; et manda partout gens d’armes là où il les put avoir. Si se départirent d’Angleterre en trois parties, et arrivèrent en trois ports ou hâvres, auques en une saison, ces trois osts. Le prince de Galles s’en alla devers Bordeaux à mille hommes d’armes et deux mille archers et toute fleur de chevalerie avec lui.

Premièrement de sa route étoient le comte de Suffolch, le comte d’Aske-Sufforch, le comte de Warvich, le comte de Sallebrin, messire Regnault de Cobehen, le baron de Stanford, messire Jean Chandos qui jà avoit la renommée d’être l’un des meilleurs chevaliers de toute Angleterre, de sens, de force, d’heur, de fortune, de haute emprise et de bon conseil, et par espécial le roi avoit son fils le prince recommandé à lui et en sa garde. Là étoit le sire de Bercler, messire James d’Audelée et messire Pierre son frère, messire Bietremeus de Brues, le sire de la Ware, messire Thomas et messire Guillaume de Felleton, le sire de Basset, messire Estievennes de Cousenton, messire Édouard sire Despensier, le sire de Willebi, messire Eustache d’Aubrecicourt, et messire Jean Ghistelles, et plusieurs autres que je ne puis mie tous nommer.

Si me tairai du prince et de ses gens, et aussi du duc de Lancastre qui arriva en Bretagne, et parlerai du roi d’Angleterre et de son armée qui en ce temps voulut venir en Normandie sur la terre du roi de Navarre.

Quand le roi d’Angleterre eut fait toutes ses pourvéances, il monta en mer au hâvre de Hantonne atout deux cents hommes d’armes et quatre mille archers. Si étoient en sa compagnie le comte d’Arondel, le comte de Norhantonne, le comte de Hereford, le comte de Stafford, le comte de la Marche, le comte de Hostidon, le comte de Cornouaille, l’évêque de Lincolle et l’évêque de Wincestre, messire Jean de Beauchamp, messire Gautier de Mauny, le sire de Mannes, le sire de Moutbray, le sire de Ros, le sire de Percy, le sire de Neufville, messire Jean de Montaigu, le sire de Grastoch, le sire de Clifort, messire Richard de Pennebruge, messire Alain de Bouqueselle, et plusieurs autres barons et chevaliers desquels je ne puis mie de tous faire mention. Si s’adressèrent, le roi, ces gens d’armes et cette armée, devers Normandie pour prendre terre à Chierebourch, où le roi de Navarre les attendoit.

Quand ils furent entrés en mer et ils eurent singlé un jour, ils eurent vent contraire, et les

    roi de Navarre se réfugia aussitôt, auprès du pape à Avignon, d’où il se rendit en Navarre, et que ce fut de là qu’il expédia un de ses agens, nommé Colin Doublet, en Angleterre pour annoncer au roi qu’il se rendrait avec des troupes à Cherbourg par mer, afin de recouvrer ses places occupées par le roi de France.

  1. Le roi de Navarre, comme comte d’Évreux, possédait plusieurs villes importantes de Normandie.