Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
[1356]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

combattant ; et ne montra pas semblant de fuir ni de reculer quand il dit à ses hommes : « À pied, à pied ! » et fit descendre tous ceux qui à cheval étoient, et il même se mit à pied devant tous les siens, une hache de guerre en ses mains, et fit passer avant ses bannières au nom de Dieu et de Saint-Denis, dont messire Geffroy de Charny portoit la souveraine ; et aussi par bon convenant la grosse bataille du roi s’en vint assembler aux Anglois. Là eut grand hutin fier et crueux, et donnés et reçus maints horions de haches, d’épées et d’autres bâtons de guerre. Si assemblèrent le roi de France et messire Philippe son mains-né fils à la bataille des maréchaux d’Angleterre, le comte de Warvich et le comte de Suffolck ; et aussi y avoit-il là des Gascons, monseigneur le captal de Buch, le seigneur de Pommiers, messire Aymeri de Tarse, le seigneur de Mucidan, le seigneur de Longueren le souldich de l’Estrade.

Bien avoit sentiment et connoissance le roi de France que ses gens étoient en péril ; car il véoit ses batailles ouvrir et branler, et bannières et pennons trébucher et reculer, et par la force de leurs ennemis reboutés : mais par fait d’armes il les cuida bien toutes recouvrer. Là crioient les François : Montjoye ! Saint-Denis ! et les Anglois : Saint-George ! Guyenne ! Si revinrent ces deux chevaliers tout à temps, qui laissé avoient la route du duc de Normandie, messire Jean de Landas et messire Thibaut de Vodenay : si se mirent tantôt à pied en la bataille du roi et se combattirent depuis moult vaillamment. D’autre part se combattoient le duc d’Athènes, connétable de France et ses gens ; et un petit plus dessus, le duc de Bourbon, avironné de bons chevaliers de son pays de Bourbonnois et de Picardie. D’autre lez, sur côtière, étoient les Poitevins, le sire de Pons, le sire de Partenay, le sire de Poiane, le sire de Tonnay-Boutonne, le sire de Surgères, messire Jean de Saintré, messire Guichard d’Angle, le Sire d’Argenton, le sire de Linières, le sire de Montendre et plusieurs autres, le vicomte de Rochechouart et le vicomte d’Ausnay. Là étoit chevalerie démontrée et toute appertise d’armes faite ; car créez fermement que toute fleur de chevalerie étoit d’une part et d’autre.

Là se combattirent vaillamment messire Guichard de Beaujeu, le sire de Château-Villain et plusieurs bons chevaliers et écuyers de Bourgogne. D’autre part étoient le comte de Ventadour et de Montpensier, messire Jacques de Bourbon, en grand arroy, et aussi messire Jean d’Artoi, et messire Jacques son frère, et messire Regnault de Cervoles, dit Archiprêtre, armé pour le jeune comte d’Alençon.

Si y avoit aussi d’Auvergne plusieurs grands barons et bons chevaliers, tels comme le seigneur de Mercueil[1], le seigneur de La Tour, le seigneur de Chalençon, messire Guillaume de Montagu, le seigneur de Rochefort, le seigneur d’Apchier et le seigneur d’Apchon ; et de Limosin, le seigneur de Malval, le seigneur de Moreil, et le seigneur de Pierrebufière ; et de Picardie, messire Guillaume de Nelle, messire Raoul de Rayneval, messire Geffroy de Saint-Dizier[2], le seigneur de Helly, le seigneur de Monsault, le seigneur de Hangest et plusieurs autres.

Encore en la bataille dudit roi étoit le comte de Douglas[3] d’Écosse, et se combattit un espace assez vaillamment ; mais quand il vit que la déconfiture se contournoit du tout sur les François, il se partit et se sauva au mieux qu’il put ; car nullement il n’eût voulu être pris ni échu ès mains des Anglois ; mais eût eu plus cher à être occis sur la place, car pour certain il ne fût jamais venu à rançon.

  1. Probablement Mercœur.
  2. Seigneurie appartenant à une branche cadette de la maison de Flandre.
  3. Ce Douglas était le même Guillaume de Douglas, qui arait profité de la présence d’Édouard au siége de Calais pour faire une invasion en Angleterre. On a vu dans le fragment restitué page 331, qu’il était venu trouver le roi Jean avant la bataille de Poitiers. La Scala chronica rapporte qu’il se disposait alors à faire un voyage à la Terre-Sainte, qu’il interrompit pour assister à cette bataille avec quelques-uns des siens. Fordun, dans son Scoti-chronicon, rapporte, de même que la Scala chronica, que le roi Jean le fit chevalier. Il rapporte ainsi la retraite de William Douglas : « Homines vero domini à Douglas supradicti, videntes in prælio quod factum erat, de medio pugnæ dominum suum capientes, secum indè invitum abduxerunt, pluribus de melioribus suis in bello interemptis, captisque aliis et redemptione expeditis. » Suivant la Scala chronica il retourna de suite en Écosse. Plus tard, après la délivrance du roi David Bruce, il fut créé comte de Douglas. Lord Hailes rapporte qu’Archibald Douglas, fils naturel du fameux Jacques Douglas, tué par les Sarrasins à Grenade, avait aussi été fait prisonnier à cette bataille, et qu’il fut délivré par la présence d’esprit d’un de ses compagnons sir William Ramsay de Colluthy.