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LIVRE I. — PARTIE II.

manière et à tout ce que nous pourrions dire ou proposer au contraire en jugement au dehors. En témoin desquelles choses nous avons fait mettre notre grand scel à ces présentes, données à Bretigny de-lez Chartres, le vingt-cinquième jour du mois de mai, l’an de grâce Notre Seigneur mil trois cent soixante[1].


CHAPITRE CXXXIII.


Comment le duc de Normandie scella la dite charte ; et comment quatre barons d’Angleterre vinrent à Paris au nom du roi anglois pour jurer à tenir le dit traité ; et comment ils furent honorablement reçus.


Quand celle lettre, qui s’appeloit l’une des chartes de la paix, car encore en y eut des autres faites et scellées en plusieurs manières, en la ville de Calais, si comme je vous en parlerai quand temps et lieu seront, fut jetée, on la montra au roi d’Angleterre et à son conseil ; lequel roi et son conseil, quand ils la virent et ils l’eurent ouï lire, répondirent aux traiteurs qui s’étoient embesognés et en intention de bien chargés : « Elle nous plaît moult bien ainsi. » Donc fut ordonné que l’abbé de Clugny et frère Jean de Langres, et messire Hugue de Genève, sire d’Anton, qui pour le duc de Normandie y étoient commis et ordonnés, partissent de là, la charte grossiée et scellée avec eux, et venissent à Paris devers le duc et son conseil, et leur remontrassent l’ordonnance dessus dite et en fissent, au plus brièvement qu’ils pussent, relation.

Les dessus nommés s’y accordèrent volontiers, et retournèrent à Paris, où ils furent reçus à grand’joie. Si se trairent devers le duc de Normandie et ses frères, le duc d’Orléans présent et la plus grand’partie du conseil de France. Là remontrèrent les dessus dits moult convenablement sur quel état ils avoient parlé, et quel chose faite et exploitée avoient : ils furent volontiers ouïs, car la paix étoit durement désirée. Là fut la dite lettre lue et bien examinée, ni oncques ne fut de point ni d’article débattu ; mais la scella le duc de Normandie, comme ains-né fils du roi de France et hoir du roi son père. Et furent assez tôt après les dessus dits traiteurs renvoyés devers le roi d’Angleterre, qui les attendoit en son ost près de Chartres. Quand ils furent revenus, il n’y eut mie grand parlement, car ils dirent que à toutes les choses dessus dites le duc de Normandie, ses frères, leur oncle et tout le conseil de France étoient bénignement et doucement accordés. Ces nouvelles plurent

  1. Le nombre des chartes connues et même publiées, auxquelles le traité de Bretigny donna lieu, est très considérable : celle-ci l’accroit encore et doit être regardée comme une nouvelle pièce inconnue jusqu’ici ; car, quoiqu’elle ne contredise en aucun point essentiel les articles énoncés dans les autres chartes, dont la plupart ont été recueillies par Rymer, elle n’a point assez de conformité avec aucune d’entre elles pour pouvoir dire qu’elle soit la même. Elle porte d’ailleurs tous les caractères qui peuvent en constater l’authenticité, et se trouve dans tous les manuscrits, de sorte qu’on ne saurait la suspecter avec fondement. On ne peut pas dire la même chose de la date ; elle est évidemment altérée, puisque, suivant le Memorandum conservé par Rymer, Édouard était de retour en Angleterre dès le 18 de mai, dix jours après la date du traité de paix conclu le 8 de ce mois, ainsi que je l’ai déjà dit et qu’on peut le voir dans Rymer, p. 202, et dans les Chroniques de France. En supposant donc avec Froissart que cette pièce fut expédiée à Bretigny, il faudrait, au lieu du 25 mai, lire le 7 ou le 8, date de toutes les chartes données dans ce lieu ; peut-être même faudrait-il lire le cinquième jour de mai, si on ajoute foi à ce que dit Froissart dans le chapitre suivant, que cette charte est antérieure à la publication de la trêve, puisqu’il parait que cette publication dut se faire dès le 7 mai. Mais on doutera peut-être que la lettre dont il s’agit ait été donnée à Bretigny, d’autant plus qu’Édouard y parle en son nom, tandis que toutes les autres chartes datées du même lieu furent expédiées au nom et sous le sceau des fils aînés des deux rois, et que celle des pièces connues avec laquelle elle a le plus de conformité est la charte des renonciations faites par le roi d’Angleterre, datée de Calais le 24 octobre.

    On peut opposer à ces doutes : 1o Qu’il est difficile de croire que Froissart, qui n’avait aucun intérêt à altérer la vérité en ce point, ait substitué Bretigny à Calais, et que, quoiqu’il se soit trompé sur la date du jour, erreur qu’on doit peut-être imputer aux copistes, on ne peut l’accuser de s’être trompé de même sur celle du lieu, parce qu’il est aisé de tomber dans la première erreur, en mettant par inadvertance un chiffre pour un autre, au lieu que le dessein d’en imposer peut seul conduire à la seconde. 2o Que Froissart paraît si bien instruit des principales circonstances du traité et de ses suites, que son témoignage à cet égard doit être d’un très grand poids. 3o Qu’on trouve dans la pièce dont il est question, et surtout dans le commencement, plusieurs expressions qui portent â croire qu’elle est antérieure au départ d’Édouard pour l’Angleterre. 4o Que rien n’empêche de penser que les principales clauses du traité étant une fois arrêtées entre les plénipotentiaires des deux rois, Édouard, à qui il était extrêmement avantageux et qui ne risquait rien à promettre de l’observer, consentit, peut-être sur les instances des légats du pape, à s’y obliger personnellement et à corroborer par cette charte émanée de lui toutes celles qu’il avait fait expédier au nom et sous le sceau de son fils.