Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/517

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1360]
449
LIVRE I. — PARTIE II.

expressément que punitions en soient faites comme de traîtres et rebelles à nous, par la manière qu’il est accoutumé à faire en crime de lèze-majesté, sans faire sur ce grâce, rémission, souffrance ni pardon. Et semblablement le voulons faire de nos sujets, de quelconque état qu’ils soient, qui en notre royaume deçà et delà la mer prendront, occuperont et détiendront forteresses quelconques contre la volonté à ceux de qui elles seront, ou qui boutteront feux, ou qui rançonneront villes ou personnes, ou fassent pillages ou roberies, ou émouveront guerre en notre pouvoir et sur nos sujets : si mandons, commandons et enjoignons étroitement et expressément à tous nos sujets, sénéchaux, baillis, prévôts, châtelains et autres nos officiers sur quant que se peuvent forfaire envers nous, et sur peine de perdre leurs offices, qu’ils publient et fassent publier ces présentes par tous les lieux notables de leurs sénéchaussées, baillages, prévôtés et châtellenies et que nul, ce mandement ouï et vu, ne demeure en forteresse qu’il tienne au dit royaume, hors de l’ordonnance et du traité de la paix, sur peine d’être ennemi de nous et de notre dit frère le roi de France, et toutes les choses dessus dites gardent et fassent garder, entériner et accomplir de point en point. Et sachent tous que si ils en sont négligens ou défaillans, avec la peine dessus dite, nous leur ferons rendre les dommages à tous ceux qui par leur deffaute ou négligence auront été grevés ou dommages, et avec ce les en punirons par telle manière que ce sera exemple à tous autres[1]. En témoin des quelles choses nous avons fait faire ces nôtres lettres patentes.

Données à Calais le 24me jour du mois d’octobre, l’an de grâce Notre Seigneur 1360.


CHAPITRE CXLII.


Comment les deux rois allongèrent les trêves de Bretagne du premier jour de mai jusques à la Saint-Jean-Baptiste.


Après toutes ces choses faites et devisées, et ces lettres et ces commissions baillées et délivrées et si bien tout ordonné par l’avis adoncques de l’un roi et de l’autre, que les parties se tenoient pour contentes, vérité est qu’il fut parlé de monseigneur Charles de Blois et de monseigneur Jean de Montfort sur l’état de Bretagne ; car chacun réclamoit droit à avoir très grand à l’héritage de Bretagne ; et quoique là en fut parlementé et regardé comment on pourroit toucher les choses et eux apaiser, rien n’en fut définitivement fait, car, si comme je fus depuis informé, le roi d’Angleterre et les siens n’y avoient point trop grand’affection, car ils présumoient le temps à venir pour ce qu’il convenoit toutes manières de gens d’armes de leur côté partir et vider des garnisons et forteresses qu’ils tenoient à point et avoient tenu au royaume de France et retraire quelque part que fût, et mieux valoit et plus profitable étoit que ces guerroyeurs et pilleurs se retraissent en la duché de Bretagne, qui est un des gras pays du monde et bon pour tenir gens d’armes, jusques à ce qu’ils revinssent en Angleterre ; car leur pays en pourroit être perdu et robé. Cette imagination fit assez brièvement passer les Anglois le parlement en l’article de Bretagne, dont ce fut péché et mal fait que on n’en exploitât autrement ; car si les deux rois eussent bien voulu acertes par l’avis de leurs conseillers, paix eût là été entre les parties dessus dites, et se fût chacun tenu à ce que on lui eût donné, et si eût r’eu messire Charles de Blois ses enfans qui gissoient prisonniers en Angleterre, et si eût plus pleinement vécu qu’il ne fit. Et pour ce qu’il n’en fut rien fait oncques, les guerres ne furent si grands en la duché de Bretagne paravant l’ordonnance de la paix des deux rois dont nous parlons maintenant, comme elles ont été depuis, si comme vous orrez avant en l’histoire, et même entre les seigneurs, barons et chevaliers du pays de Bretagne qui ont soutenu l’une opinion ou l’autre. Si que le duc de Henri de Lancastre, qui fut vaillant sire, sage et imaginatif, et qui trop durement aimoit le comte de Montfort et son avancement, dit au roi Jean de France, présent le roi d’Angleterre et la plus grand’partie de leur conseil : « Sire, encore ont les trêves de Bretagne qui furent prises et données devant Rennes, à durer jusques au premier jour de mai qui vient ; là en dedans envoiera le roi notre sire, par le regard de son conseil, gens de par lui et de par son fils le jeune duc de monseigneur Jean de

  1. Rymer ajoute : Et semblable nous a promis notre dit frère faire en son royaume et nous en a baillé ses lettres ; et nous lui avons aussi baillé les nôtres ; excepté et réservé par nous et nos amis ce qu’est dit et écrit en la dite paix en l’article de Bretagne. Donné à Calais le 24 jour d’octobre.