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LIVRE I. — PARTIE II.

hors de leurs logis et prendroient terre et place sur les champs, et là aviseroient de tous assents pour mieux en avoir la connoissance. Si fut ainsi annoncé et signifié parmi l’ost, que chacun fût à lendemain appareillé et mis en arroi et en ordonnance de bataille, ainsi que pour tantôt combattre. Celle nuit passa ; lendemain vint, qui fut par un samedi[1], que Anglois et Bretons d’une sorte issirent hors de leurs logis et s’en vinrent moult faiticement et en ordonnance arrière du dit châtel d’Auray, et prirent place et terre, et dirent et affermèrent entre eux, que là attendroient-ils leurs ennemis.

Droitement ainsi que entour heure de prime, messire Charles de Blois et tout son ost vinrent, qui s’étoient partis le vendredi, après boire, de la cité de Rennes, et avoient cette nuit jeu à trois petites lieues d’Auray[2]. Et étoient les gens à monseigneur Charles de Blois les mieux ordonnés et les plus faiticement et mis en meilleur convine de bataille que on pût voir ni deviser ; et chevauchoient si serrés que on ne pût jeter un esteuf entre eux, qu’il ne chéît sur pointes de glaives, tant les portoient-ils proprement roides au contre mont. De eux regarder proprement les Anglois prenoient grand’plaisance. Si s’arrêtèrent les François, sans eux desréer, devant leurs ennemis, et prirent terre entre grands bruyères, et fut commandé de par leur maréchal que nul n’allât avant sans commandement, ni fît course, joûte, ni empainte. Si s’arrêtèrent toutes gens d’armes et se mirent en arroi et en bon convine, ainsi que pour tantôt combattre ; car ils n’espéroient autre chose et en avoient grand désir.


CHAPITRE CLXXXIX.


Comment messire Charles de Blois, par le conseil de messire Bertrand du Guesclin, ordonna ses batailles bien et faiticement.


Messire Charles de Blois, par le conseil de monseigneur Bertran du Guesclin, qui étoit là un des grands chefs et moult loué et cru des barons de Bretagne, ordonna ses batailles, et en fit trois et une arrière-garde ; et me semble que messire Bertran eut la première, avec grand’foison de bons chevaliers et écuyers de Bretagne : la seconde eurent le comte d’Aucerre et le comte de Joigny, avec grand’foison de bons chevaliers et écuyers de France : la tierce eut et la meilleur partie, messire Charles de Blois, et eut en sa compagnie plusieurs hauts barons de Bretagne. Et étoient de-lez lui le vicomte de Rohan, le sire de Léon, le sire d’Avaugour, messire Charles de Dynant, le sire d’Ancenis, le sire de Malestroit et plusieurs autres. En l’arrière-garde étoit le sire de Roye, le sire de Rieux, le sire de Tournemine, le sire du Pont, le sire de Quintin, le sire de Combour, le seigneur de Rochefort et moult d’autres bons chevaliers et écuyers ; et étoient en chacune de ces batailles bien mille combattans. Là alloit messire Charles de Blois par ses batailles, admonester et prier chacun moult doucement et bellement qu’ils voulsissent être loyaux et prudhommes et bons combattans ; et retenoit, sur s’âme et sa part de paradis, que ce seroit sur son bon et juste droit que on se combattroit. Là lui avoient promis l’un par l’autre, que si bien s’en acquitteroient qu’il leur en sauroit gré.

Or vous parlerons du convine des Anglois et des Bretons de l’autre côté, comment ils ordonnèrent leurs batailles.


CHAPITRE CXC.


Comment messire Jean Chandos ordonna les batailles du comte de Montfort bien et sagement.


Messire Jean Chandos, qui étoit capitaine et souverain regard sur eux tous, quoique le comte de Montfort en fût chef, car le roi d’Angleterre lui avoit ainsi escript et aussi mandé que souverainement et espécialement il entendît aux besognes de son fils, car il avoit eu sa fille pour cause de mariage, étoit tout devant aucuns barons et chevaliers de Bretagne qui se tenoient de-lez monseigneur Jean de Montfort ; et avoit bien imaginé et considéré le convine des François, lequel en soi-même il prisoit durement et ne s’en put taire. Si dit : « Si Dieu m’aist, il appert huy que toute fleur d’honneur et de chevalerie est par de de-là avec grand sens et bonne

  1. Vingt-huit septembre, veille de Saint-Michel, comme on le verra ci-après.
  2. Charles de Blois passa cette nuit à Lanvaux ; mais il n’y vint pas de Rennes en un jour, comme le dit Froissart ; la marche eût été trop forte ; il s’arrêta à Josselin où il fit la revue de ses troupes, et se rendit de là à Lanvaux le vendredi 27 de septembre.