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LIVRE I. — PARTIE II.

besognoit en bonne manière ; et le laissoient les Anglois et les Bretons de Montfort aller et venir et parlementer à monseigneur Jean Chandos et au comte de Montfort, pour tant qu’il étoit par foi fiancé prisonnier par devers eux, et ne se pouvoit armer[1]. Si mit ce dit samedi maints propos et maintes parçons avant, pour venir à paix ; mais nul ne s’en fit ; et détria la besogne, toujours allant de l’un à l’autre, jusques à nonne ; et par son sens il impétra des deux parties un certain répit pour le jour et la nuit ensuivant jusques à lendemain à soleil levant. Si se retraist chacun en son logis, ce samedi, et se aisèrent de ce qu’ils avoient, et bien avoient de quoi.

Ce samedi au soir, issit le châtelain d’Auray de sa garnison, pour tant que le répit couroit de toutes parties, et s’en vint paisiblement en l’ost de monseigneur Charles de Blois, son maître, qui le reçut liement. Si appeloit-on le dit écuyer Henry de Hauternelle, appert homme d’armes durement ; et emmena en sa compagnie quarante lances de bons compagnons, tous armés et bien montés, qui lui avoient aidé à garder la forteresse.

Quand messire Charles de Blois vit son châtelain, si lui demanda tout en riant de l’état du châtel. « En nom Dieu, monseigneur, dit l’écuyer, Dieu mercy, nous sommes encore bien pourvus pour le tenir deux mois ou trois, si il en étoit besoin[2]. » — « Henry, Henry, répondit messire Charles, demain au jour serez-vous délivré de tous points, ou par accord de paix, ou par bataille. » Sur ce, dit l’écuyer : « Dieu y ait part. » — «Par ma foi, Henry, dit messire Charles qui reprit encore la parole, par la grâce de Dieu, j’ai en ma compagnie jusques à vingt cinq cents hommes d’armes, d’aussi bonne étoffe et bien appareillés d’eux acquitter, qu’il en ait au royaume de France. » — « Monseigneur, répondit l’écuyer, c’est un grand avantage ; si en devez louer Dieu et regracier grandement, et aussi monseigneur Bertran du Guesclin et les barons de France et de Bretagne qui vous sont venus servir si courtoisement. » Ainsi se ébattoit de paroles le dit messire Charles à cel Henry, et donc à l’un et puis à l’autre ; et passèrent ses gens cette nuit moult aisément. Ce soir fut prié moult affectueusement messire Jean Chandos d’aucuns Anglois, chevaliers et écuyers, qu’il ne se voulsist mie assentir à la paix de leur seigneur et de monseigneur Charles de Blois ; car ils avoient tout le leur dépendu : si étoient povres, si vouloient par bataille, ou tout perdre, ou aucune chose recouvrer. Et messire Jean Chandos leur eut en convenant et leur promit ainsi.


CHAPITRE CXCII.


Comment le sire de Beaumanoir vint en l’ost du comte de Montfort pour traiter de la paix ; et des paroles qui furent entre lui et messire Jean Chandos.


Quand ce vint le dimanche au matin, chacun en son ost se appareilla, vêtit et arma. Si dit-on plusieurs messes en l’ost de messire Charles de Blois, et se communièrent ceux qui voulurent. Aussi firent-ils en telle manière en l’ost du comte de Montfort. Un petit après soleil levant, se retraist chacune en sa bataille et en son arroy, ainsi qu’ils avoient été le jour devant. Assez tôt après, revint le sire de Beaumanoir qui portoit les traités, et qui volontiers les eût accordés s’il eût pu ; et s’en vint premier, en chevauchant, devant monseigneur Jean Chandos, qui issit de sa bataille si très tôt comme il le vit venir, et laissa le comte de Montfort, qui de-lez lui étoit, et s’en vint sur les champs parler à lui. Quand le sire de Beaumanoir le vit, il le salua moult hautement, et lui dit : « Messire Jean Chandos, je vous prie, pour Dieu, que nous mettions à accord ces deux seigneurs ; car ce seroit trop grand’pitié si tant de bonnes gens comme il y a ci, se combattoient pour leurs opinions soutenir. » Adonc répondit messire Jean Chandos tout au contraire des paroles qu’il avoit mises avant la nuit devant, et dit : « Sire de Beaumanoir, je vous avise que vous ne chevauchiez mais huy plus avant ; car nos gens disent que si ils vous peuvent enclorre entre eux, ils vous occiront : avecques tout ce, dites à monseigneur Charles de Blois que, comment qu’il en avienne, monseigneur Jean de Montfort se veut combattre et issir de tous traités de paix et d’accord, et dit ainsi que aujourd’hui il demeurera duc de Bretagne, ou il mourra

  1. Le sire de Beaumanoir est cependant nommé parmi les prisonniers que le vainqueur fit à cette journée.
  2. La réponse du châtelain pourrait bien être controuvée : les Bretons du parti de Montfort étaient maîtres de la ville, et la garnison retirée dans le château avait été forcée de capituler, à condition qu’elle l’abandonnerait le 30 septembre si elle n’était secourue, et que durant cet intervalle elle pourrait se procurer des vivres en payant.