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LIVRE I. — PARTIE II.

furent morts tous ceux qui dedans étoient, et la ville robée et courue.

Encore en celle chevauchée ils avoient avisé de prendre une autre ville à trois lieues de Toulouse qu’on appelle Laval, et avoient mis leur embûche assez près d’illec en un bois ; et s’en venoient devant, environ quarante de leurs lances armés couvertement, en vêtemens de vilains ; mais ils furent déçus par un garçon qui venoit pied à pied avec eux, lequel découvrit la besogne ; et par ce ils faillirent à avoir la ville et à leur entente, et s’en retournèrent arrière à Montalban.

En ce temps tenoient les champs le comte de Pierregord, le comte de Comminges, le comte de l’Isle, le vicomte de Carmaing, le vicomte de Brunikel, le vicomte de Talar, le vicomte de Murendon, le vicomte de Lautrec, messire Bertran de Torride, le sire de la Barde, le sire de Pincornet, messire Perducas de Labreth, le Bourg de l’Esparre, le Bourg de Breteuil, Aymemon d’Ortinge, Jaquet de Bray, Perrot de Savoie et Ernaudon de Pans, et étoient bien ces gens d’armes, parmi les compagnies, dix mille hommes combattans. Si entrèrent par le commandement du duc d’Anjou, qui pour le temps se tenoit en la cité de Toulouse, en Quersin moult efforcément, et contournèrent le pays en grand’tribulation, et ardirent et exillèrent le pays, et s’en vinrent devant Royauville en Quersin, et l’assiégèrent. Le sénéchal de Quersin l’avoit paravant pourvue bien suffisamment de tout ce qu’il appartenoit à une ville gardée, et de bons compagnons Anglois qui jamais ne se fussent rendus pour mourir, combien que ceux de la ville en fussent en bonne volonté, si ils eussent pu. Quand ces barons et chevaliers de France l’eurent assiégée, ils envoyèrent querre quatre moult grands engins en la cité de Toulouse, et tantôt on leur envoya et fit-on charrier. Si furent dressés et mis en ordonnance par devant la garnison de Royauville. Si jetoient nuit et jour pierres et mangonneaux[1], par dedans la ville, qui moult les contraignit et affoiblit. Et avec tout ce ils avoient mineurs avec eux, qu’ils mirent en leurs mines, et qui se vantèrent qu’ils prendroient la ville. Et toujours se tenoient les Anglois comme bonnes gens et vaillans, et se confortoient bien de ces mineurs, ni n’en faisoient pas, par semblant, trop grand compte.


CHAPITRE CCLXXI.


Comment l’archevêque de Toulouse convertit à la partie du roi de France la cité de Caours et plusieurs autres cités et villes ; et comment le duc de Guerle et cil de Juliers défièrent le roi de France.


Entrementes que ces gens d’armes François se tenoient si efforcément en Quersin sur les marches de Limousin et d’Auvergne, le duc de Berry étoit autre part en Auvergne, là où il avoit et tenoit grand nombre de gens d’armes, tels que monseigneur Jean d’Armignac son serourge, monseigneur Jean de Villemur, Roger de Beaufort, le seigneur de Beaujeu, le seigneur de Villars, le seigneur de Serignac, le seigneur de Chalençon, monseigneur Griffon de Montagu, monseigneur Hugue Dauphin, avec grand foison de bonnes gens d’armes ; et couroient sur les marches de Rouergue, de Limousin et de Quersin, et appovrissoient, dommageoient et honnissoient durement le pays où ils conversoient ; ni nul ne duroit devant eux. Donc il avint pour lors que, par le promouvement de monseigneur le duc d’Anjou, qui voyoit ses besognes en bon parti, et que le duc de Berry et ses gens tenoient les champs en Quersin et en Rouergue, il fit partir de Toulouse celui qui en étoit archevêque, lequel étoit un grand clerc et vaillant homme durement, et icelui il fit chevaucher et aller vers la cité de Caours dont son frère étoit évêque[2]. Le dit archevêque de Toulouse prêcha là tellement et par si bonne manière la querelle du roi de France, que la dite cité de Caours se tourna Françoise, et jurèrent foi et loyauté de ce jour en avant à tenir au roi de France.

En après le dit archevêque chevaucha outre, et partout prêchoit et montroit le bon droit du roi de France, et tellement se portoit que tout le pays se tournoit. Et fit lors tourner plus de soixante que cités, que villes, que châteaux, que forteresses, parmi le confort des gens du duc de Berry, c’est à savoir, messire Jean d’Armignac, et les autres qui chevauchoient au pays. Si fit tourner Figeac, Gramat, Capede-

  1. Mangonneau se prend à la fois pour la machine qui lance et pour l’objet lancé.
  2. L’archevêque de Toulouse d’alors était Geoffroy de Vayrolles et l’évêque de Cahors, Begon de Castelnau. Ainsi, il n’est pas possible que ces deux prélats fussent frères.