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LIVRE I. — PARTIE II.

Bourbon, qui là étoit entre ses gens ; si vint et dit ainsi : « Monseigneur, mes maîtres et seigneurs m’envoient devers vous, et vous font à savoir par moi qu’ils sont trop émerveillés de ce que vous les avez sçus jà le terme de quinze jours devant vous, et si n’êtes point issus de votre fort pour eux combattre. Si vous mandent que, si vous voulez traire hors et venir devers eux, ils vous lairont prendre et aviser pièce de terre pour vous combattre à eux ; si en ait la victoire cil à qui Dieu l’ordonnera. »

À cette parole répondit le duc de Bourbon, et dit : « Chandos, vous direz à vos maîtres que je ne combattrai point à leur volonté et ordonnance ; et bien sais voirement qu’ils sont là ; mais point ne partirai de ci ni n’en déferai mon siége, si aurai-je conquis le châtel de Belle-Perche. » — « Monseigneur, dit le héraut, je leur dirai bien ainsi. » Lors se départit sur ce point Chandos, et retourna devers ses maîtres, et leur dit cette réponse. Si ne leur fut mie bien plaisant, et se mirent au conseil ensemble. De ce conseil issirent, et dirent à Chandos autres paroles, lesquelles il vouloient qu’il rapportât aux François, si comme il fit ; et leur dit de rechef quand il fut revenu : « Seigneurs, mes maîtres et mes seigneurs vous mandent par moi, puis que combattre ni traire hors ne vous voulez, ni la parçon prendre qu’ils vous ont faite, que dedans trois jours, sire duc de Bourbon, à heure de tierce ou de midi, vous verrez votre dame de mère mettre à cheval et mener en voie : si avisez sur ce, et la rescouez si vous voulez ou pouvez. » Lors répondit le duc de Bourbon et dit : « Chandos, Chandos, dites à vos maîtres que ils guerroient mal honorablement, quand une ancienne femme seule entre ses gens ils ont prise, et la veulent mener et ravir comme prisonnière ; et point n’a-t-on vu en guerre des seigneurs du temps passé que les dames et damoiselles y fussent prisonnières ni ravies. De madame ma mère me déplaira, si je la vois emmener ; et la r’aurons quand nous pourrons : mais la forteresse ne mèneront-ils point, elle nous demeurera. Et pour ce que vous nous avez ci mis des parçons, vous direz encore à vos maîtres, que si ils se veulent mettre sur les champs jusques à cinquante, nous nous y mettrons aussi : si en ait qui en pourra avoir. » — « Monseigneur, dit le héraut, je leur dirai volontiers tout ainsi. » À ces mots partit Chandos d’eux, et prit congé et s’en vint arrière devers le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch et les autres à qui il fit sa relation. À la parçon que le duc de Bourbon leur envoya n’eurent-ils point conseil d’entendre ; si s’ordonnèrent comme pour eux partir de là, et emmener la dame et ceux du fort, qui étoient grandement courroucés et travaillés des engins de l’ost.


CHAPITRE CCCV.


Comment le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch emmenèrent de Belle-Perche madame de Bourbon et les Compagnies qui dedans étoient.


Quand ce vint au jour que mis et ordonné y avoient, ils sonnèrent au matin leurs trompettes ; si s’armèrent et appareillèrent toutes gens et se trairent sur les champs, tout en arroy de bataille à pied et à cheval, ainsi que pour combattre, bannières et penons devant eux ; et là leva ce jour bannière messire Jean de Montagu, neveu au comte de Sallebery. En cel état où ils étoient, tous ordonnés et appareillés, ainsi que je vous recorde, et pipoient et cornoient leurs ménestrels en grand revel, à heure de tierce, ils firent vider et partir ceux de la forteresse de Belle-Perche et madame de Bourbon, et la firent monter sur un palefroy bien ordonné et arréé pour elle, et ses dames et ses damoiselles avec elles. Tout ce pouvoient voir les François qui étoient en leur logis, si ils vouloient ; et bien le virent, mais oncques ne s’en murent ni bougèrent. Si se départirent les Anglois et leurs routes à heure de midi ; et adressoient[1] la dite dame messire Eustache d’Aubrecicourt et messire Jean d’Évreux. Si se retrairent en cel état en la prinçauté ; et demeura la dite dame une espace de temps prisonnière aux dites Compagnies en la Roche-Vauclère en Limousin. Mais oncques ne plut bien sa prise au prince ; et disoit, quand on en parloit, que si autres l’eussent fait que Compagnies, il leur eût fait remettre arrière tantôt et sans délai ; et quand les dits compagnons, qui prisonnière la tenoient, lui en parloient, il leur disoit, quelque traité ni marché qu’ils fissent, il r’eût son chevalier, messire Simon de Burlé, que les François tenoient.

  1. Accompagnaient sur sa droite.