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LIVRE I. — PARTIE II.


CHAPITRE CCCLI.


Comment ceux de Sainte-Sévère, durant un moult fort assaut, se rendirent à messire Bertran du Guesclin.


Les nouvelles vinrent en l’ost devant Sainte-Sévère, à monseigneur Bertran du Guesclin et aux autres seigneurs, que les Anglois et les Poitevins, et tous ceux de leur alliance, approchoient durement, et venoient pour lever le siége. Quand le connétable entendit ce, il ne fut de rien effrayé et fit armer toutes manières de gens, et commanda que chacun tirât avant à l’assaut. À son commandement ne voulut nul désobéir, quelque sire qu’il fût. Si vinrent François et Bretons devant la dite forteresse, armés et pavoisés de bonne manière, et commencèrent à assaillir de grand’volonté, chacun sire dessous sa bannière et entre ses gens. Si vous dis que c’étoit grand’beauté à voir et imaginer ces seigneurs de France, et la frique armoirie et riche d’eux ; car adonc à cet assaut il y eut par droit compte quarante neuf bannières et grand’foison de pennons. Et là étoient le dit connétable et messire Louis de Sancerre, maréchal, chacun ainsi qu’il devoit être, qui travailloient moult à esvigourer leurs gens pour assaillir de plus grand courage.

Là s’avançoient chevaliers et écuyers de toutes nations, pour leur honneur accroître et leurs corps avancer, qui y faisoient merveilles d’armes ; car les plusieurs passoient tout parmi les fossés qui étoient pleins d’yaue, et s’en venoient, les targes sur leurs têtes, jusques aux murs, et en celle appertise, pour chose que ceux d’amont jetoient, point ne reculoient, mais alloient toudis avant. Et là étoient sur les fossés le duc de Berry, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, le Dauphin d’Auvergne et les grands seigneurs, qui ammonestoient leurs gens de bien faire. Et pour la cause des seigneurs qui les regardoient, s’avançoient les compagnons plus volontiers, et ne ressoignoient mort ni péril.

Messire Guillaume de Percy et les deux écuyers d’honneur qui capitaines étoient de la forteresse, regardèrent comment on les assailloit de grand’volonté et que cil assaut ne refroidoit point, ni ne cessoit, et que à ainsi continuer ils ne se pourroient tenir, et si ne leur apparoit confort de nul côté, si comme ils supposoient ; car s’ils eussent sçu comment leurs gens étoient à moins de dix lieues d’eux, ils se fussent encore reconfortés et à bonne cause ; car bien se fussent tenus tant qu’ils en eussent ouï nouvelles : mais point ne le savoient ; et pourtant entrèrent-ils en traité devers le dit connétable pour eschiver plus grand dommage. Messire Bertran, qui étoit tout informé que dedans le soir il orroit nouvelles des Anglois et des Poitevins, entendit à leur traité volontiers ; et les prit, sauves leurs vies, et se saisit de la forteresse, dont il fit grand’fête. Après tout ce, il fit traire toutes ses gens sur les champs et mettre en ordonnance de bataille, ainsi que pour tantôt combattre, et leur dit et fit dire : « Seigneurs, avisez-vous ; car les ennemis approchent, et espérons encore à la nuit à avoir la bataille ; si se apprête chacun au mieux qu’il pourra, comme pour son corps garder et défendre. » Ainsi se tinrent-ils, depuis une heure de tierce que la forteresse fut rendue, jusques à basses vespres, tous rangés et ordonnés sur les champs au dehors de Sainte-Sévère, attendant les Anglois et les Poitevins, dont ils cuidoient être combattus ; et voirement l’eussent-ils été sans nulle faute ; mais nouvelles vinrent au captal, à monseigneur Thomas de Percy et à monseigneur Jean d’Évreux, que Sainte-Sévère étoit rendue : de celle avenue furent ces seigneurs et tous les compagnons tous courroucés, Si dirent et jurèrent là les seigneurs entr’eux que jamais en forteresse qui fût en Poitou ils n’entreroient, si auroient combattu les François.

Or parlerons-nous de ceux de Poitiers et comment ils se maintinrent lors.


CHAPITRE CCCLII.


Comment ceux de Poitiers se tournèrent François ; et comment les Anglois entrèrent à force en la ville de Niort.


Ce terme pendant et celle chevauchée faisant, cils de Poitiers étoient en grand’dissention et rébellion l’un contre l’autre ; car les communautés des Anglois et aucuns riches hommes de la ville se vouloient tourner François ; et Jean Renault, qui maire en étoit, et tous les officiers du prince, et aucuns autres grands riches hommes ne s’y voloient nullement acorder : pourquoi ils en furent en tel estrif que près fut le combattre. Et mandèrent, cil qui le plus grand accord avoient, secrètement devers le conné-