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LIVRE I. — PARTIE II.

leur ost. À ce que les Anglois montroient, ils ne désiroient autre chose que ils pussent avoir la bataille ; mais le roi de France, qui doutoit les fortunes, ne s’y vouloit nullement assentir ni accorder que ses gens se combatissent. Si les faisoit-il côtier et hérier de cinq cents ou six cents lances qui tenoient les Anglois si courts et en tel doute que ils ne s’osoient deffoucquer. En la cité et sur le mont de Laon avoit bien trois cents lances de Bretons et de François qui véoient les Anglois dessous eux à Vaulx ; mais oncques, de soir, de nuit, ni de matin ne les vinrent réveiller. Si se délogèrent le duc et leurs routes et prirent le chemin de Soissons ; car ils suivoient toudis les rivières et plus gras pays. Le sire de Cliçon, le sire de Laval, le vicomte de Rohan, le vicomte de Meaux, Raoul de la Bove, messire Raoul de Rayneval, messire Jean de Vienne, messire Jean de Bueil, messire Guillaume des Bordes, le sire d’Antoing, le sire de Hangest et bien quatre cents lances de bonnes gens les poursuivoient toudis sus côtière, ainsi qu’ils alloient ; et chevauchoient telle fois si près l’un de l’autre que ils se fussent bien trouvés et rencontrés s’ils voulsissent, et parloient à la fois l’un à l’autre. Donc il advint que messire Henry de Persy, un des gentils barons d’Angleterre, chevauchoit les champs avec sa route, et messire Guillaume des Bordes et messire Jean de Bueil faisoient une autre, et tenoit chacun son chemin sans point issir du frais. Là dit messire Henry de Persy, qui chevauchoit un blanc coursier, en regardant sur senestre, à monseigneur Aymeri de Namur, fils au comte : « Il fait beau voler maintenant ; que ne volez vous quand vous avez ailes ? » — « Sire de Persy, sire de Persy, dit messire Aymeri, qui un petit issit de son conroy en frétillant son coursier, vous dites voir, le vol est beau à nous, et si j’en étois cru nous volerions jusques à vous. » — « Par Dieu, Aymeri, je t’en crois bien. Or émeus tes compagnons à voler ; si y aura bon gibier. » Ainsi, en bourdant, chevaucha le sire de Persy une espace de temps, côtiant les François ; et le plus prochain de lui à qui il parloit c’étoit Aymeri, le Bâtard de Namur, un moult frique et gentil chevalier et bon homme d’armes.

Trop souvent le jour se fussent trouvés François et Anglois et rencontrés sur les champs si ils voulsissent ; mais les uns et les autres chevauchoient sagement. Si fut en ce voyage la terre du seigneur de Coucy toute déportée, ni on n’y forfit oncques rien ; car le gentil sire de Coucy étoit hors du pays, et se dissimuloit de cette guerre pour la cause de sa femme, madame Ysabel, fille au roi d’Angleterre : si étoit excusé de l’une partie et de l’autre.

En ce voyage et en la marche de Soissons, assez près d’un village que on dit Ouchy, meschéit il trop grandement à l’un des bons chevaliers de toute la route du duc de Lancastre, et qui le plus s’étoit trouvé en devant en grosses besognes d’armes et durs rencontres, monseigneur Gautier Huet ; car, une nuit, il avoit fait le guet en leur ost, si que sur le jour, ainsi qu’il est d’usage, il s’étoit retrait en son logis et se desarmoit pour un petit reposer. Ce propre matin, messire Jean de Vienne, messire Jean de Bueil, le vicomte de Meaux et bien six vingt lances de François vinrent escarmoucher l’ost à l’un des lez où le guet étoit, ainsi comme en rifflant outre sans arrêter. Messire Gautier Huet ouit ces nouvelles, ainsi que on lui déclaussoit ses chausses d’acier, et étoit jà désarmé à moitié : il eut si grand coite, et si frétilleusement monta à cheval qu’il n’étoit vêtu que d’une seule cotte de fer, et n’eut mie loisir de prendre ses plates ; mais, la targe au col et la lance au poing, s’en vint en cel état à l’escarmouche. Evvous un chevalier de France, qui s’appeloit messire Jean d’Elmant, hardi et vaillant chevalier durement, armé de toutes pièces et bien fort monté, la targe au col et la lance au poing, qui avise monseigneur Gautier Huet, et broche cheval des éperons et s’en vient sur lui, et lui fiert de son glaive si roidement que les armures que il avoit, ce n’étoit mie grandement, ne lui valurent oncques riens ; mais il fit passer son glaive tout outre le corps et l’abatit là à terre navré à mort. Quand ses gens virent ce, si furent trop déconfits ; et, à ce que j’ouïs dire, son pennon le suivoit tout enveloppé, ni oncques ne fut développé. Trop furent les ducs, les barons et les chevaliers courroucés de la mort de monseigneur Gautier ; mais amender ne le pouvoient tant qu’à celle fois.

Si se combattirent moult vaillamment ; mais finalement, pour le contrevenger, tous furent