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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

le fils du prince, et le fit le roi porter devant lui, et le revêtit, présents les susdits, de l’héritage et royaume d’Angleterre à tenir après son décès ; et l’assit dalez lui ; et fit jurer tous prélats, barons, chevaliers et officiers des cités et des bonnes villes, des ports et des passages d’Angleterre que ils le tiendroient à roi. Après ce, le vaillant roi eschéi en une foiblesse de laquelle il mourut en l’année, ainsi que vous orrez recorder temprement ; mais nous persévérons de des parlements et de ces traités qui ne vinrent à nul profit.

À ces parlements et secrets traités qui furent assignés en la ville de Montreuil, furent envoyés, de par le roi de France, le sire de Coucy et messire Guillaume de Dormans, chancelier de France. Si s’en vinrent tenir à Montreuil. De la partie des Anglois furent envoyés à Calais le comte de Salsiberi, messire Guichart d’Angle, l’évêque d’Herford et l’évêque de Saint-David, chancelier d’Angleterre. Et étoient là les traiteurs qui alloient de l’un à l’autre, et qui portoient les traités, l’archevêque de Ravenne et l’évêque de Carpentras[1]. Et furent toudis leur parlement et leur traité sur le mariage devant dit, et offroient les François, avec leur dame fille du roi de France, douze cités au royaume de France ; c’est à entendre en la duché d’Aquitaine ; mais ils vouloient voir Calais abattu. Si se dérompirent cils parlements et cil traité sans rien faire ; car onques, pour chose que les traiteurs sçussent dire, prier ni requérir, ni remontrer, ces parties ne se voulrent ou osèrent oncques assegurer sur certaine place entre la ville de Montreuil et Calais pour iceux comparoir l’un devànt l’autre. Si demeurèrent les choses ainsi, et ne furent les trêves plus ralongées, mais la guerre renouvelée, et retournèrent les François en France.

Quand le duc de Bretagne vit ce, qui se tenoit à Bruges dalez son cousin le comte de Flandre, et les légats furent là retournés, qui dirent qu’ils ne pouvoient rien faire ; si escripsit devers le comte de Salebrin et monseigneur Guichart d’Angle qui étoient à Calais, que, à tel jour, atout gens d’armes et archers, ils fussent contre lui ; car il s’en vouloit r’aller en Angleterre, et il se doutoit des embûches sur les frontières de Flandre et d’Artois : si que les dessusdits, le comte de Salsiberich et messire Guichart d’Angle se partirent de Calais atout cent hommes d’armes et deux cents archers, et vinrent requérir bien avant en Flandre le duc de Bretagne, et le ramenèrent sauvement jusques à Calais.

Quand notre saint père le pape Grégoire onzième sentit et entendit que la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre ne se pouvoit trouver, pour moyen ni pour traité que on sçût ni pût mettre avant, ce lui fut une chose moult déplaisante ; et dit à ses frères cardinaux que il se vouloit partir d’Avignon et que ils se ordonnassent, car il vouloit aller tenir son siége à Rome[2]. Les cardinaux ne furent mie trop réjouis de ces nouvelles ; et lui débatirent par plusieurs raisons et voies raisonnables, et lui remontrèrent bien que si il alloit là il mettroit l’Église en grand trouble. Nonobstant toutes paroles, il dit que il avoit ce de vu, et qu’il iroit, comment que fût. Si se ordonna, et les constraindit de aller avec lui. Toutes fois quand ils virent que ils n’en auroient autre chose, ils se mirent avec lui, et montèrent en mer à Marseille, et singlèrent tant qu’ils vinrent à Jennes. Là se rafreschirent, et puis rentrèrent de rechef en leurs galées, et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Rome. Si furent les Romains grandement réjouis de leur venue, et tout le pays de Romagne. Par celle motion que le pape fit avinrent depuis grands troubles en l’Église, si comme vous orrez recorder ci-après, et que cette histoire dure jusques à là.

Toute celle saison que cils traités et parlement de paix qui point n’avinrent furent à Bruges, le roi de France avoit ses pourvéances et son armée fait faire sur mer et appareillé très grossement, et avoit intention d’envoyer adonc en Angleterre ; et étoient ses gens pourvus de galées et de gros vaisseaux que le roi Henry d’Espaigne leur avoit envoyés, et l’un de ses maîtres amiraux qui s’appeloit Dam Ferran Sanses de

  1. Dans les chartes publiées par Rymer, les deux prélats signataires sont l’archevêque de Ravenne et l’archevêque de Rouen. Les Chroniques de France désignent aussi ce dernier, et ajoutent qu’il avait été auparavant évêque de Carpentras.
  2. Froissart paraît avoir ignoré le temps et la cause du départ de Grégoire XI pour Rome. Il s’y détermina dans l’espoir que sa présence apaiserait les troubles dont l’Italie était agitée, et partit d’Avignon pour Rome non en 1377, comme le dit Froissart, mais le 13 septembre 1376.