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LIVRE I. — PARTIE II.

bien les François que ils n’y pouvoient rien conquérir : si se retrairent et boutèrent en mer en côtoyant l’Angleterre et en revenant vers Douvres. Si singlèrent tant que ils y vinrent, et à un autre port que on dit Pesk, où il y a une bonne ville, et voulurent là prendre terre ; mais messire Guillaume de Montagu comte de Salebrin et messire Jean son frère et leurs gens leur furent audevant, et se mirent ordonnément en bataille pour eux attendre. Là eut un petit escarmouehé, mais ce ne fut mie grandement ; car ils rentrèrent en mer et singlèrent en côtoyant Angleterre et approchant Douvres. Là sont plusieurs villages sur celle côte séants sur mer, qui en leur venant eussent été tous ars et gâtés ; mais le comte de Salebrin et son frère et leurs gens les poursuivoient et côtoyoient à cheval ; et quand ils vouloient prendre terre, ils leur étoient audevant, et leur défendoient vaillamment ; et remontroient bien que c’étoient droites gens d’armes et de bonne ordonnance et qui avoient à garder l’honneur de leur pays.

Tout ainsi en côtoyant Angleterre, messire Jean de Vienne et messire Jean de Raix, et l’amiral d’Espaigne hérioient le pays, et mettoient grand’entente et grand’peine à ce qu’ils pussent prendre sur Angleterre à leur plus grand avantage. Et tant allèrent en cel état qu’ils vinrent à un bon gros village sur mer où il y a un bon prieuré que on dit Lyaus[1]. Là étoient les gens du pays venus et recueillis avec le prieur et deux chevaliers leurs chevetain, par lequel conseil ils se vouloient ordonner et combattre si les François venoient. Les chevaliers étoient nommés messire Thomas Cheni et messire Jean Affasselée[2]. Là ne purent le comte de Salebrin ni ses frères venir à temps, pour les divers chemins et le mauvais pays qui est entre Lyaus et la marche où ils se trouvoient. Là vinrent à ce port les dessus dits François et leurs galées moult ordonnément, et ancrèrent du plus près de terre qu’ils purent ; et prirent terre, voulsissent ou non les Anglois qui leur défendirent ce qu’ils purent. Là eut à l’entrer en la ville grand hutin et forte escarmouche, et plusieurs hommes navrés des François à ce commencement par le trait ; mais ils étoient si grand’foison qu’ils reculèrent leurs ennemis, lesquels se recueillirent moult faiticement en une place devant le moutier et attendirent leurs ennemis, lesquels s’en vinrent sur eux hardiement combattre main à main très ordonnément. Là furent faites plusieurs grands appertises d’armes des uns et des autres, et se deffendirent les Anglois moult bien selon leur quantité, car ils n’étoient que un petit au regard des François. Si se prenoient près de bien faire la besogne. Aussi les François, avec le bon désir, avoient grand’entente d’eux porter dommage. Là obtinrent-ils la place, et furent les Anglois déconfits ; et y eut bien deux cents morts et grand foison de pris des plus notables riches hommes de la marche qui là étoient venus pour leurs corps avancer ; et furent pris les deux chevaliers et le prieur de Lyaus. Si fut la ville toute courue, arse et détruite, et aucuns petits villages marchissans illec ; et puis quand la marée fut revenue, ils rentrèrent en leurs vaisseaux et se désancrèrent. Si se départirent et emmenèrent leur pillage et leurs prisonniers, parquoi ils sçurent la mort du roi Édouard et le couronnement du roi Richard. Adonc messire Jean de Vienne se avança de signifier ces nouvelles au roi de France : si fit partit un sien chevalier et trois écuyers qui portoient lettres de créance en une barge grosse espaignole qui traversa la mer et vint arriver à Crotoy dessous Abbeville. Là prirent ils terre, et montèrent à cheval, et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Paris. Là trouvèrent ils le roi de France, le duc de Berry, le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon, et grand foison de nobles seigneurs : si firent leur message bien et à point, et furent bien crus, parmi les lettres de créance qu’ils portoient.

Quand le roi de France sçut la mort de son adversaire le roi d’Angleterre[3] et le couronnement du roi Richard, si ne fut mie moins pensieux que devant ; nient moins il n’en montra nul semblant, mais se voult acquitter de la mort de son cousin le roi d’Angleterre, lequel, la paix durant, il appeloit frère. Et lui fit faire son obsèque aussi notablement et aussi puissam-

  1. Lewes.
  2. Fallesley.
  3. On ne peut croire qu’on ignorât encore en France la mort d’Édouard, à moins qu’on ne suppose que les entreprises des Français dont Froissart vient de parler, sont antérieures à leur descente dans l’île de Wight, qui est du 21 août. Car il est certain que long-temps avant le 21 août, probablement même avant la fin du mois de juin, Charles V fut informé de la mort d’Édouard.