Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1326]
17
LIVRE I. — PARTIE I.

qui bien savoient que on devoit faire ; mais point ne le de voient laisser partir du pourpris. Ainsi fut-il enjoint et commandé ; et ledit messire Hue fut tantôt livré à messire Thomas Wage, maréchal de l’ost. Après ce, se partit la roine et tout son ost pour venir droit à Londres qui est le chef d’Angleterre, et se mit en chemin. Le dit messire Thomas fit bien et fort lier messire Hue le Despensier sur le plus petit, maigre et chétif cheval qu’il put trouver, et lui fit faire et vêtir un tabar, et vêtir par dessus son habit le dit tabar semé de telles armes comme il souloit porter ; et le faisoit ainsi mener par dérision après la route et le convoi de la roine, par toutes les villes où il devoit passer, à trompes et à trompettes, pour lui faire plus grand dépit, tant qu’ils vinrent à Herford, une bonne cité. Là fut la roine moult révéremment reçue et à grand’solennité, et toute la compagnie aussi ; et tint la fête de la Toussaint moult grande et bien étoffée, pour l’amour de son fils et des seigneurs étranges qui étoient avec lui[1].


CHAPITRE XXIV.


Comment messire Hue le Despensier le jeune eut la tête tranchée et fut mis en quatre quartiers.


Quand la fête fut passée, le dit messire Hue, qui point n’étoit aimé là en droit, fut amené par devant la roine et tous les barons et chevaliers qui là étoient assemblés. Là lui furent recordés tous ses faits par écrit, qu’oncques ne dit rien à l’encontre ; si que là en droit fut jugé, par pleine suite des barons et chevaliers, à justicier, en telle manière comme vous orrez. Premièrement il fut traîné sur un bahut à trompes et à trompettes, par toute la ville de Herford, de rue en rue, et puis fut amené en une grand’place en la ville, là où tout le peuple étoit assemblé : là en droit il fut lié sur une esselle haut, si que chacun, petit et grand, le pouvoit voir ; et avoit-on fait en la dite place un grand feu. Quand il fut ainsi lié, en lui coupa tout premier le… et les… pour ce qu’il étoit hérite et sodomite, ainsi que on disoit mêmement du roi, et pour ce avoit le roi déchassé la roine de lui et par son ennort. Quand le… et les… lui furent coupés, on les jeta au feu pour ardoir ; et après lui fut le cœur tiré hors du ventre, et jeté au feu[2], par tant qu’il étoit faux de cœur et traître, et par son traître conseil et ennort le roi avoit honni son royaume et mis à meschef, et avoit fait décoler les plus grands barons d’Angleterre par lesquels le royaume devoit être soutenu et défendu ; et après, il avoit si ennorté le roi qu’il ne pouvoit ni vouloit voir la roine sa femme ni son ains-né fils qui devoit être leur sire, ains les avoit déchassés, pour doute de leurs corps, hors du royaume d’Angleterre. Après, quand le dit messire Hue fut ainsi atourné comme dit est, on lui coupa la tête, et fut envoyée en la cité de Londres ; et puis fut découpé en quatre quartiers, et furent tantôt envoyés ès quatre meilleures cités d’Angleterre après Londres.


CHAPITRE XXV.


Comment la roine d’Angleterre fut honorablement reçue à Londres, et comment les compagnons messire Jean de Hainaut s’en retournèrent en leur pays.


Après cette justice faite, si comme vous avez ouï, la roine et tous les seigneurs, et grand’foison des communes du pays, se mirent au chemin vers Londres ; et firent tant par leurs petites journées qu’ils y vinrent à grand’compagnie ; et issirent contre la roine et son ains-né fils, qui devoit être leur droit sire, communément tous ceux de Londres, grands et petits ; et leur firent grand’fête et grand’révérence, et à toute leur compagnie aussi ; et donnèrent ceux de Londres grands dons à la dite roine et à ceux de sa suite où il leur sembloit mieux employé. Quand ils furent ainsi reçus et si grandement fêtés comme dit est, et ils eurent là séjourné environ quinze jours, les compagnons qui passés étoient avec monseigneur Jean de Hainaut eurent grand talent de retourner chacun en sa contrée, car il leur sembloit qu’ils avoient bien fait la besogne et acquis grand honneur, si comme ils avoient. Si prirent congé à madame la roine et aux seigneurs du pays. Madame la roine et les seigneurs leur prièrent assez de demeurer encore un petit de temps, pour voir qu’on voudroit faire du roi, qui en prison étoit ainsi que ouï avez, mais ils avoient si grand désir de retourner chacun en sa maison que prière n’y valut rien.

Quand la roine et son conseil virent ce, ils priè-

  1. Frolssart suppose à tort que Hugh Spenser était au pouvoir de la reine avant la Toussaint, puisqu’il ne fut pris que vers le milieu de novembre.
  2. C’est encore le supplice usité en Angleterre pour le crime de haute trahison.